Le Sidh - Les héritiers

Chapitre 2: L'homme en noir

Équipée d'un parapluie, Selena marchait dans les rues de Paris en direction du cabinet médical, rendez-vous auquel elle allait à reculons. Hormis les visites de contrôles obligatoires, elle n'avait jamais eu besoin de consulter et elle s'en accommodait parfaitement. Elle avait une santé plutôt robuste et lors de ses rares coups de fatigue, c'était Mél, une amie de la famille qui lui concoctait des mixtures de plantes aux noms imprononçables et aux goûts infects, mais qui avaient le mérite de marcher.

Selena imaginait déjà le médecin sortir de longues aiguilles avec un sourire diabolique. Elle frissonna. Elle avait juste fait une crise d'angoisse à cause d'un cauchemar. Pas la peine d'aller voir un docteur pour ça...

Elle tourna dans un quartier plutôt chic. Les pas des piétons résonnaient de façon en rythme sur les trottoirs de la rue lumineuse. Les goulettes de pluies rebondissaient sur les pavés et les vitrines colorées semblaient crier à tue-tête : « regardez-moi ! »

Il restait à Selena un peu de temps avant sa visite chez le médecin et elle se décida à flâner devant les magasins. Elle ne se promenait pas souvent dans ce genre d'endroit, alors elle en profita. Elle pourrait ainsi penser à autre chose qu'une aiguille qui devenait de plus en plus grosse au cours de sa progression vers le cabinet.

Une odeur de croissants chauds attira Selena et ses pieds s'arrêtèrent devant une boulangerie. Les tartes aux fruits, les éclairs et les viennoiseries étaient disposés de façon élégante dans la vitrine et la suppliaient d'entrer pour en dévorer un ou deux. Selena sortit son porte-monnaie, prête à craquer pour l'une de ces merveilles culinaires, avant d'apercevoir le prix écrit sur de petites étiquettes. Elle dut coller le nez sur la vitre pour s'assurer qu'il n'y avait pas de virgule cachée entre les deux chiffres. Bon sang, il y avait des pépites d'or à l'intérieur, pour que ça coûte aussi cher ! Frustrée, elle rangea le contenant des quelques euros en sa possession dans son sac.

Selena reçut brusquement un choc à l'épaule et bascula vers le sol. En lâchant le parapluie, elle se rattrapa de justesse grâce à la vitre.

Le cœur encore battant face à cette surprise, elle aperçut dans le reflet celui qui l'avait bousculé. L'homme, habillé d'un manteau noir et d'un chapeau de la même couleur, continua sa route comme si de rien n'était. Selena tiqua sur son choix vestimentaire. Le temps était pluvieux certes, mais de là à endosser une veste aussi épaisse au mois de juin...

L'étonnement fit rapidement place à l'agacement. Il aurait au moins pu s'excuser ! En colère, elle se retourna et ouvrit la bouche pour lui crier son indignation. L'air fut cependant son seul interlocuteur. L'individu en noir s'était volatilisé. La rue rectiligne n'était pourtant pas excessivement bondée. Il ne pouvait pas avoir disparu comme ça.

Interloquée et irritée, Selena ramassa le parapluie et reprit sa route vers le cabinet médical. Sa bonne humeur s'était envolée, et avec elle l'envie de faire du lèche-vitrine. Elle observa toutefois avec attention le peu de passants qu'elle croisait, espérant retrouver ce ninja malpoli et affirmer avec certitude qu'elle n'avait pas rêvé.

Son regard fut alors attiré, tel un aimant, par une personne sortant d'un immeuble, à quelques pas d'elle. C'était un jeune homme dans la vingtaine. Son allure charismatique fut ce qui la frappa en premier. C'était étrange à dire, mais il était éblouissant. Deux autres individus l'accompagnaient, mais Selena n'avait d'yeux que pour lui. Il n'était pas particulièrement beau. Il possédait une taille et une silhouette normale, mais il dégageait une aura qui fascinait la jeune fille. Cependant, malgré son allure, il ne semblait pas attirer l'attention. Tous les regards devraient converger vers lui et pourtant il était ignoré de tous.

Le cœur de Selena se comprima, écrasé par une forte nostalgie.

L'homme tourna la tête dans sa direction et son regard croisa le sien. Ses cheveux châtains encadraient un visage fatigué, mais ses yeux verts étaient vifs et éclatants.

Une vague de sentiments déferla en elle. Un mélange de joie et de tristesse s'empara d'elle et des larmes vinrent se nicher dans le coin de ses paupières.

Ne comprenant pas cet afflux soudain d'émotions, Selena essuya ses yeux humides. Que lui arrivait-il pour qu'elle se mette à pleurer sans raison ? Elle n'était pas si émotive en temps normal. Elle releva la tête et aperçut le visage surpris du jeune homme. Selena détourna rapidement le regard avant de sentir la chaleur envahir ses joues. Elle l'avait dévisagé beaucoup trop longtemps pour que ça reste discret. Elle devait être aussi rouge qu'une tomate trop mûre ! Sans pouvoir s'en empêcher, elle jeta un furtif coup d'œil vers lui et remarqua le sourire qu'il lui destinait. Surprise, mais heureuse, Selena le lui rendit timidement.

Tout à coup, un frisson parcourut son corps.

Quelqu'un les observait.

Selena tourna la tête pour identifier le voyeur qu'elle finit par apercevoir de l'autre côté de la rue. C'était l'homme en noir, celui qui l'avait bousculée. Elle n'avait pas rêvé après tout. Il était bien réel. L'ombre projetée par son chapeau empêcha la jeune fille de distinguer le visage de l'individu, mais à chaque fois qu'elle s'efforçait d'identifier ses traits, son regard glissait, se détournait spontanément, comme s'il ne voulait pas voir à travers l'ombre. Comme si ce qu'elle cachait était trop horrible pour qu'elle puisse le supporter. L'angoisse l'étreignit petit à petit. L'individu en noir les fixait elle et le groupe de l'inconnu, sans bouger. Non. Il ne les observait pas. Seule la personne aux yeux verts faisait l'objet de son attention.

Un stress grandissant monta en Selena. La chair de poule recouvrit son corps. Il y avait un danger et elle était certaine qu'il venait de cet être au chapeau. Malgré le danger qu'il dégageait, il était ignoré des piétons. Il semblait être invisible. Même, celui qu'il fixait sans relâche n'avait pas remarqué sa présence. L'homme en noir bougea alors lentement. Une peur glaciale enveloppa Selena, telle une tempête rasant tout autre sentiment sur son passage.

Il sortit un objet de sa poche, petit, mais facilement reconnaissable. Le temps se figea. Le parapluie tomba à terre.

Il tendit la main dans leur direction.