Le Sidh - Les héritiers

Prologue

Des cris, des râles et des gémissements résonnaient dans les ténèbres. Elle ouvrit les yeux et se retrouva face à un monde dévasté. La brume couvrait le sol d'un voile voluptueux. Lorsque la brise, froide comme la mort, survolait la terre, des hommes ensanglantés en armures apparaissaient. Certains luttaient encore pour survivre, mais nombre d'entre eux avaient déjà répondu à l'appel de la faucheuse. Des épées et des flèches jaillissaient de la terre par milliers. Ces fleurs d'acier, qui recouvraient entièrement la plaine, réfléchissaient les flammes issues des torches rougeoyantes et des dépouilles en feu.

La jeune fille leva la tête et aperçut la lune pourpre qui occupait solitairement le ciel. Était-ce le sol qui reflétait sa couleur ou l'inverse ? L'esprit confus, elle marchait à travers le champ désolé. Que s'était-il passé ici ? Où était-elle ?

Qui était-elle ?

Ses pieds nus et gelés foulaient un terrain ravagé par la boue et le sang. Chaque inspiration glaçait ses poumons et amenait sur sa langue un goût métallique.

Des corbeaux virevoltaient de cadavre en cadavre, en les scrutant avec avidité. Certains portaient dans leur bec écarlate des yeux arrachés. L'un d'entre eux tourna la tête vers l'intruse et la fixa longuement. Il déploya ses ailes puis s'envola vers elle. En levant les bras pour se protéger de la bête, la jeune fille aperçut, sidérée, ses mains recouvertes d'un liquide rougeâtre. Ses vêtements étaient tout aussi tachés, comme si elle avait participé au massacre de la plaine.

Cette observation la glaça de tout son être. Des frissons envahirent son corps, sa respiration s'accéléra jusqu'à ce qu'elle en suffoque et le sol tangua sous ses pieds. La panique avait pris le contrôle de son esprit. Elle ferma les yeux, espérant que cette vision disparaisse par ce simple geste. Mais la scène ne changea pas. Au contraire, elle empira.

Les corbeaux avaient tous relevé la tête pour scruter la jeune fille d'un regard funèbre. Leurs cris lugubres et grinçants retentirent de toute part, et comme un seul être, ils s'élancèrent dans sa direction. La brume se souleva alors. Les hommes qui agonisaient se levaient au rythme des coassements. Usant de leurs dernières forces, ils avancèrent vers l'étrangère.

Le peu de retenue qu'il lui restait fut brisé par ce spectacle. Elle lui tourna le dos et prit la fuite. Elle courut à en perdre haleine sans savoir comment échapper à cet enfer. Elle glissa de nombreuses fois sur le terrain poisseux, mais la peur la poussait à se relever sans perdre une seconde. Cependant, malgré chaque pas effectué, chaque colline franchie, le champ de bataille occupait l'horizon. Où qu'elle aille, il n'y avait pas de fin.

Quelque chose lui agrippa la cheville. Elle chuta. En se redressant, couverte de boue rougeâtre, elle ne vit plus d'échappatoire. Elle était prise au piège, encerclée par des chevaliers mourants. Leurs mains écarlates étaient tendues vers elle dans un geste empli d'espoir et de supplication. Terrorisée, elle recula, cherchant à mettre de la distance entre eux.

Après quelques foulées, son pied ne trouva plus de prise et elle bascula en arrière. Un abîme apparu alors qu'une plaine avait jusqu'à présent occupé l'espace. Sans aucun moyen d'y échapper, elle tomba et les ténèbres l'aspirèrent.