Chapitre 24 - Bravoure sur les flots - partie I

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Son corps se déchirait. Son esprit se découpait en morceaux. La douleur emportait tout. Ses souvenirs. Sa force. Son identité. Son être était mutilé, dévoré. Tout lui était pris. Ses dernières barrières cédaient. Bientôt, plus rien ne restera. Bientôt, plus rien n'aura d'importance. La douleur s'en ira. Pour de bon. Car il n'y aura plus rien à ponctionner. N'était-ce pas ce qu'il y avait de mieux ? De ne plus souffrir ?

« Tiens bon ! Nous avons besoin de toi ! »

La voix ancestrale fit barrage à la douleur. Celle-ci diminua puis recula. Présente, mais supportable. Seulement, elle lui avait déjà trop pris. Qui était-il ? Où était-il ? Que faisait-il là ? Il devait les prévenir. Mais qui ? Et que devait-il à leur dire ? Était-ce vraiment important ?

Un objet verdâtre roula jusqu'à lui. Il s'arrêta en face de son visage. La chose était pourvue de cheveux, d'yeux et d'une bouche. Une tête ? Sans corps ? Les pupilles globuleux de cette dernière se fixèrent sur lui et d'une voix rocailleuse, prononça ces quelques mots :

Ne le laisse pas te dévorer. Réveille-toi, petit homme. Hâte-toi. Le temps t'est compté.

La tête s'évapora dans un nuage vert.

Son esprit rassembla les morceaux. Il se releva. Il ne devait pas faiblir. Il devait avancer. Car s'il échouait, il perdrait tout. Définitivement.

*

Selena prit une grande inspiration. L'air iodé lui faisait un bien fou. Et le son du roulement des vagues l'apaisait. Pour la première fois depuis leur départ d'Avalon, elle pouvait se détendre. En sortant de la grotte, le groupe s'était retrouvé face à une plage de sable noir. Cette dernière bordait un océan dont la couleur turquoise était identique à celle du ciel. Difficile de distinguer la limite entre les deux.

Les héritiers s'étaient éparpillés pour chercher la suite du chemin. Selena avait préféré rester quelques instants immobile, le visage levé au ciel. La brise marine, tiède et agréable, réchauffait son corps congelé par le séjour dans la grotte. Elle profita de cet instant de calme pour souffler un peu. Elle s'approcha ensuite du rivage pour s'accroupir au bord de l'eau. La boue sur sa peau avait séché et devenait inconfortable. À l'arrivée d'une vague, Selena plongea les mains en coupe dans l'eau. Un frisson lui parcourra l'échine. Elle était glacée. Ses plans de baignade s'évanouissaient...

Elle fit tremper les bras dans les vagues et s'aspergea le visage et le reste de son corps. C'était désagréable. Parfois douloureux, à cause des hématomes et des coupures, fruits de la rencontre avec la coulée de boue, mais cela en valait la peine. Il aurait été difficile de continuer le périple avec toute cette boue séchée. Elle ne fut pas la seule à profiter de cette toilette. Tout le monde le fit, en particulier Elliot qui sauta sans hésitation dans l'eau. Il en ressortit aussitôt en poussant des bêlements frigorifiés. Riant face à ce spectacle, Selena se releva et observa l'étendue bleue. Le courant était calme au niveau du rivage, mais de hautes lames émergeaient au loin. Quant à la plage noire, elle longeait un pan de montagne dont la paroi semblait avoir pour origine les confins du ciel. Impossible d'en distinguer le sommet.

Elle alla s'asseoir aux côtés de Gabriel sur le sable doux, et profita des rayons chauds du soleil. La brise marine était différente de celle de Bretagne. Elle était plus forte, plus condensée. Selena avait l'impression d'inhaler une partie de l'océan à chaque inspiration. Elle fut soudain prise d'une appréhension :

– J'espère qu'on ne va pas devoir le traverser à la nage.

– Pourquoi ? Tu ne sais pas nager ? se moqua Gabriel.

Le Sidh - Les héritiersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant