Chapitre 18 : La traversée

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Selena hurlait à s'en casser la voix. Le portail avait fonctionné comme prévu. Il les avait bien transportés hors de la forêt de Brocéliande. Cependant, ce qu'il y avait de l'autre côté n'avait rien de féerique. Il n'y avait, en fait, rien du tout.

Absolument rien.

Ils chutaient dans un abysse infini. L'air frais s'infiltrait sous les vêtements de Selena, giflait son visage et claquait si fort dans ses oreilles qu'elle s'entendait à peine crier. Ses yeux, qu'elle avait du mal à garder ouverts, pleuraient sous la violence du vent.

La traversée en elle-même n'avait pas été extraordinaire. Le groupe était passé de Brocéliande à l'Autre-Monde, en un instant. Selena avait été surprise de voir un ciel bleu éclatant, alors qu'un orage se déchaînait dans la nuit quelques secondes plus tôt. Le silence l'avait déroutée. La lumière également. Son cœur était tout à coup remonté dans sa poitrine et son souffle s'était bloqué. Elle n'avait pas compris pourquoi. Son esprit n'arrivait pas à assimiler ce qu'il se passait. Quelqu'un avait crié. Une poignée de secondes lui avait été nécessaire pour comprendre d'où provenait ce son strident. D'elle-même.

Gabriel agrippait fermement le bras de Selena. Quand le lui avait-il attrapé ? Bonne question. L'héritier criait plus fort qu'elle, chose qu'elle aurait pensé impossible. Elle aurait pu en rire, si elle ne se trouvait pas dans la même situation que lui. Adam hurlait en gesticulant. Elle n'entendit pas la plupart de ses mots, mais en comprit la fin :

– ... fais quelque chose !

Il devait sûrement s'adresser à Melvin, car ce dernier répondit en paniquant :

– J'essaie, j'essaie !

– N'essaie pas, rugit Elliot. Fais-le !

– Tu crois que c'est facile ? répliqua Melvin en perdant patience.

Selena observa les alentours. Combien de temps leur restaient-ils avant l'impact ? Elle ne voyait ni sol, ni nuage, ni même le soleil. Juste l'infinité du ciel turquoise qui les engloutissait.

Les bourrasques se firent moins fortes. Sans points de repère, ce fut difficile à vérifier, mais Selena eut l'impression de ralentir. Elle en eut la certitude lorsque les cris perçants de Gabriel évoluèrent en geignements. Petit à petit, la chute se transforma en un agréable planage puis, comme si quelqu'un avait appuyé sur un bouton pause, elle s'arrêta. Le groupe flottait dans les airs.

Le silence s'était réinstallé. Plus ou moins. Le sang pulsait à l'intérieur de son crâne. Son cerveau paraissait jouer du tambour. Son corps tout entier tremblait. Comme celui de Gabriel. Ce dernier était toujours accroché à elle, aussi blanc qu'un linge. Il s'obstinait à garder les yeux fermés. Il balbutia :

– Keskis'passe ?

Il décolla doucement les paupières et pencha la tête vers le bas. Il gémit et les referma aussitôt.

– Où sommes-nous ? demanda Wil, la voix défaillante.

Lui aussi était pâle. Ils devaient certainement tous l'être...

– À ton avis ? Dans le ciel ! cria Gabriel dans un état semi-hystérique. Melvin, je t'en supplie, sors-nous de là !

– C'est tout ce que je peux faire pour l'instant, répondit-il.

Son visage, couvert d'un voile de sueur, était crispé par l'effort :

– Je peux ralentir notre chute. Mais je ne suis pas sûr de pouvoir y arriver jusqu'au sol.

Le Sidh - Les héritiersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant