Chapitre 15 : Retour aux sources - Partie I

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Dans le taxi, en route pour la gare, Adrian la mit en garde :

– Selena, au sujet de toute cette histoire... Tu ne dois en parler à personne, d'accord ?

– Du fait que j'ai rencontré le roi Arthur et qu'on va aller à Avalon pour nos vacances ? répondit-elle ironiquement. Ils me prendront juste pour une folle.

– Ce n'est pas à cause de ça. À partir du moment où un humain est au courant, il perçoit le monde différemment. Lui apprendre la vérité peut le mettre en danger, car s'il arrive à voir certaines choses, celles-ci peuvent également le voir.

– Quels genres de choses ?

– Je parle des créatures provenant du Sidh. Certaines sont inoffensives, mais d'autres sont très néfastes. Et il n'y a pas qu'elles. Si certaines personnes apprennent que tu as été mise au courant, tu peux courir un risque encore plus grand.

Selena se remémora l'homme en noir, celui qui avait failli la tuer. Elle posa la main sur sa poitrine, à l'endroit où sa cicatrice reposait.

– Parles-tu de ceux qui ont essayé de supprimer Will ? demanda-t-elle.

– C'est très probable.

– Qui sont-ils ?

– Des personnes arrogantes et avides de pouvoir, gronda-t-il. Et n'ayant aucune considération pour la vie. Des gens répugnants.

Il porta un regard bienveillant sur sa nièce, posa sa grande main sur sa tête puis approcha son front du sien, chose qu'il faisait très souvent lorsqu'elle était enfant.

– C'est pour ça que je ne souhaitais pas t'impliquer là-dedans. Il y a tellement de dangers... Promets-moi d'être prudente. Je ne peux pas te perdre toi aussi.

En soutenant son regard, Selena toucha son front avec le sien, concluant ainsi leur rituel :

– Oui. Je te le promets.

C'était une belle journée. Le soleil était haut dans le ciel et le vent caressait l'herbe grasse de la plaine. Des enfants jouaient entre eux. La plupart portaient des bouts de bâton en guise d'épée et imitaient les chevaliers. Un garçon restait à l'écart. Attirée, la jeune fille s'approcha de lui. Ses cheveux noirs encadraient des joues rebondies. Plutôt timide, il ne quittait pas la femme qui l'accompagnait. D'une grande beauté, elle lui ressemblait. Mais contrairement à lui qui avait les yeux noirs, ses yeux étaient bleus perçants. Assise à ses côtés, elle lui faisait la lecture. Les grands yeux de l'enfant transitaient entre la femme et le livre. La jeune fille n'aurait su dire ce qui le captivait : sa lectrice ou l'histoire.

Un coup de vent vint alors souffler les pages. Une fleur séchée s'en échappa et s'envola au loin. Le garçon l'avait observé la bouche grande ouverte. Il se retourna vers sa gardienne qui avait encore le regard fixé sur le chemin emprunté par le marque-page, puis se leva. Il trottina sur quelques mètres avant de s'arrêter pour ausculter le sol. Il s'abaissa ensuite pour cueillir une fleur aux pétales bleue. Il fit demi-tour et courut retrouver la femme assise. Mais, trop impatient, le pauvre trébucha et tomba tête la première dans l'herbe. La jeune fille gloussa, amusée par le spectacle.

L'enfant redressa la tête et vérifia l'état de la fleur. La tige s'était cassée en deux. Un sanglot vint secouer sa bouche et il jeta un regard accablé vers la femme. Elle aussi souriait, mais d'un air attendrit. Elle se leva et l'aida à se relever. Avec un mouchoir, elle essuya son nez sali par la terre et ses yeux rougis. Le garçon lui tendit timidement la fleur. Elle prit délicatement le présent puis chuchota quelques mots à l'enfant. Elle recouvrit ensuite le cadeau avec son autre main et après quelques instants la retira. Sous les yeux ébahis de la jeune fille et du garçon, la fleur flotta à quelques centimètres de sa paume et la tige brisée retrouva sa forme initiale. L'excitation et la joie vinrent aussitôt remplacer la tristesse du petit. Il riait aux éclats. La femme se releva et attrapa sa main. Les deux marchèrent en direction du pont-levis menant à la citadelle. Au loin, un cavalier armé les observait. Contrairement à la jeune fille, ses yeux verts ne montraient aucune tendresse face à l'enfant et sa camarade. À l'inverse, son visage était sombre, obscurci par le regret. Il fit tourner sa monture puis s'éloigna de à la scène.

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Une heure plus tard, le train quittait la gare. Adrian s'était endormi comme une masse, juste après le départ. Selena également. Elle s'était rapidement réveillée et avait profité de ce temps libre pour continuer sa lecture du livre en cuir.

« Fuyant la dévastation du monde originel, la première reine apporta son héritage dans le Sidh. Aidée par ses Akashars, elle fonda les cinq royaumes et créa les miracles dont le plus grand de tous réside en Imérias. »

Selena fut agréablement surprise par sa facilité à traduire le texte. La lecture était fluide et les différentes significations des signes ne la gênaient plus. Elle arrivait même à en saisir toutes les nuances. Elle appréciait de plus en plus cette langue. Elle pouvait en une seule inscription donner de nombreuses informations. Selena tournait les pages, cherchant à trouver un passage qui puisse l'intéresser. Vers la fin, l'écriture changea, lui laissant supposer que l'auteur n'était plus le même. Elle en lut une partie.

« Le fléau brisa l'unité du Sidh et Imérias fut anéanti.

L'héritage de la reine, seul rempart contre les limbes, fut perdu.

Le sang de la mère s'évanouit et les Gardiens disparurent.

L'âge d'or fut rompu, remplacé par les temps du désespoir et du chagrin. »

Arrivée à la fin de l'ouvrage, Selena s'attarda sur une note. L'écriture était désordonnée et maladroite, comme si l'auteur l'avait rédigée précipitamment.

« Notre monde se meurt, je le sens. L'espoir s'éteint petit à petit. Les Gardiens sont tous partis.

Je suis le dernier.

Le dernier béni par la reine.

Le dernier à mourir.

J'ai vu de mes yeux le royaume éternel se faire dévorer par le chaos et la destruction. Malgré mon jeune âge, je sus que ce n'était pas uniquement notre sanctuaire qui disparaissait, mais également notre avenir. Nous avons essayé de comprendre, de retourner dans notre foyer, mais l'égide nous en a empêchés. Ou du moins ce qu'il en reste. Ce n'est plus le même, juste un fragment de ce que nous étions autrefois censés protéger. Nous ne pouvions rien faire. Nous ne le pouvons toujours pas. Nous avons échoué.

Les créatures oubliées franchissent une à une le Sidh. Elles ne sont pas nombreuses et sont encore faibles, déstabilisées par notre monde. Les vaincre reste possible, mais je le sais, cela n'est qu'une question de temps. Les Gardiens n'étant plus, les fées vont devoir se battre contre ce fléau. Mais le pourront-elles ? Sans le sang de Dana, je n'ai que peu d'espoirs...

Un souvenir me hante depuis ce jour funeste. Était-ce une hallucination ? Était-ce la folie, qui chaque jour, m'étreint un peu plus. Je ne le sais toujours pas. C'était cependant, la seule lueur d'espérance qui me restait. L'épée. Elle fut ce qui nous a protégées, mais aussi ce qui nous sauvera.

Je l'ai cherchée, durant tout ce temps. Foulant les limites des limbes, combattant ses abominations et bravant la folie, il fallait que je la trouve. Pour le Sidh, pour moi.

Pour elle.

Ma quête s'achève. La mort m'attend, je la vois arriver. Si je l'ai repoussée de nombreuses fois, je l'accueille aujourd'hui. La vérité m'est apparue. Je le sais maintenant, l'espoir vit encore.

Je prie nos chers ancêtres de nous apporter leur aide. Je prie notre reine bien-aimée de nous guider par son esprit. À vous qui lisez ces mots, je vous en conjure, ne laissez pas nos mondes périr. Trouvez l'épée et son porteur. Trouvez-les et les mondes seront peut-être sauvés.

Trouvez-les, et je pourrais être en paix. »

Qu'était-il arrivé à cette personne ? Son histoire se finissait mal. Mais en était-ce vraiment une ? Si la réponse était négative, cela signifierait que ce livre provenait du Sidh. Comment avait-il pu se retrouver dans cette étrange librairie ? Selena caressait le symbole sur la couverture, en y réfléchissant. Elle avait encore beaucoup de questions. Lorsqu'une réponse se révélait à elle, dix interrogations émergeaient ensuite. Elle observa son oncle qui ronflait. Il allait avoir beaucoup de travail en rentrant. Il fallait se concentrer sur la traversée vers Avalon. Elle ne devait pas le déranger. Un jour, elle aurait toutes les réponses. Il lui fallait juste attendre un peu plus. 

Le Sidh - Les héritiersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant