Chapitre 22 : Ténacité face aux épreuves - Partie II

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Maintenant que son esprit était plus clair, elle entendait distinctement les craquements des os sous leurs pieds. Le dégoût la faisait frissonner à chaque pas. Les abords de la plage squelettique furent rapidement atteints et la troupe retrouva l'air brûlant du désert. Il fallait continuer sans réfléchir, par crainte de faire demi-tour et de revenir à l'ambiance morbide, mais apaisante de l'oasis. Selena n'avait qu'une pensée en tête. Marcher, avancer, sans s'arrêter, jusqu'à la fin de cet enfer. L'étang et son rivage ne furent bientôt plus visibles et seul le sable brûlant occupait l'espace. Il n'y avait aucune indication sur le chemin à emprunter et elle soupçonna Elliot, le meneur, d'avancer au hasard.

Une goutte tomba alors sur son front. Surprise, Selena leva les yeux au ciel. Pas un nuage. Avait-elle rêvé ? Était-ce une seconde ruse de ce monde ? Une seconde perle d'eau s'écrasa sur son nez, puis une autre. Le reste du groupe s'était arrêté, le visage en l'air.

– Est-ce que je rêve ? chuchota Gabriel.

Les gouttes, de plus en plus nombreuses, chutèrent au sol, puis un rideau d'eau s'abattit sur eux. Il n'y avait aucun nuage, aucune annonce d'un quelconque changement de météo, mais une averse déchirait le ciel et leur cachait la vue. La fraîcheur était si agréable... Toute la fatigue de Selena, l'agonie qu'elle avait subie s'envola au contact de la pluie. Mettant ses mains en coupe pour récupérer un peu de liquide, Selena but avidement. Quelques gorgées suffirent à étancher sa soif qui avait pourtant été à deux doigts de la tuer. Le soulagement l'enveloppa et elle laissa un petit rire s'échapper de ses lèvres. Ils étaient sauvés.

Le déluge s'arrêta aussi vite qu'il était apparu et une scène invraisemblable se dévoila devant eux. Le sable chaud faisait maintenant place à une plaine pourpre à la température agréable. L'herbe avait poussé en quelques secondes, et une montagne, dont le sommet était d'une étonnante couleur rouge, décorait l'horizon, vide de tout relief quelques instants auparavant. Normalement, Selena aurait douté de sa santé mentale face à ce brusque changement, mais elle se contenta de quelques mots soufflés :

– Ça... alors...

– Je ne m'y ferais jamais à ces tours, lâcha Elliot.

– Moi, non plus, ajouta Gabriel. Mais je ne vais pas me plaindre, c'est mieux que le désert.

– Ne nous relâchons pas, dit Will.

Ce dernier pointa du doigt la montagne au loin :

– C'est sûrement la suite. Allons voir ce qu'elle cache.

Tous étaient revigorés. Le corps de Selena ne la faisait plus souffrir et les brûlures de sa peau avaient disparu, comme si la traversée du désert n'avait jamais eu lieu. Ils se remirent en marche, presque de bon cœur. Ce fut agréable un certain temps, comme une promenade, mais cela ne dura pas. L'herbe cachait en réalité un sol pâteux. Leurs pieds s'enfonçaient en totalité. La partie inférieure à leurs genoux devint rapidement couverte de boue couleur grenat. L'avancée était laborieuse et difficile, mais après avoir connu les effets terribles de la chaleur, Selena était presque heureuse de patauger dans un sol frais. Elle suivit le rythme, du mieux qu'elle le pouvait, bien que ses petites jambes la condamnaient à rester à la traîne. Elle dut s'arrêter de nombreuses fois pour récupérer ses chaussures engluées dans la boue. Plus le groupe s'approchait de la montagne, plus l'herbe se faisait rare, remplacée peu à peu par de la terre et de hauts rochers noirs.

Ils atteignirent plus rapidement que prévu le mont. En plus du temps, la distance était, elle aussi, difficile à estimer. Selena, qui avait pensé qu'une demi-journée serait nécessaire pour y parvenir, s'était complètement trompée. Cela n'avait même pas duré la moitié de ce temps. Les abords étaient occupés par une terre argileuse et des rochers recouverts de poussière rouge. En cherchant un peu, Gabriel trouva un sentier escarpé, mais d'aspect praticable. Ils entamèrent l'ascension. La côte, abrupte, et le sol, poisseux, l'essoufflèrent rapidement. Elle ne parviendrait jamais à monter jusqu'au sommet. Il faudrait la traîner pour qu'elle arrive. Avec un peu de chance, la citadelle se situait au prochain virage... Ou au suivant... Heureusement pour elle, le rythme était peu soutenu. Elle n'était pas la seule éprouvée par cette ascension. Cela lui donnait tout le loisir pour admirer les alentours. Il n'y avait que très peu de végétation, juste quelques herbes rampantes, des troncs épais, charbonneux et morts étaient éparpillés ici et là, et des ronces grimpant le long des parois. Melvin s'arrêta devant l'un de ces buissons épineux, puis cueillit une baie noire, qu'il observa un court instant, la mine songeuse. Son visage s'éclaira et il s'exclama :

– Ce sont des baies de tarann ! Incroyable !

Il farfouilla alors dans les ronces à la recherche des fruits qu'il distribua un à un :

– Elles ont des propriétés énergétiques extraordinaires. Une seule d'entre elles peut satisfaire les besoins nutritifs d'une journée ! Elles ne poussent que dans des endroits hostiles et sont très rares. Je n'en avais jamais rencontré !

Selena fit rouler le fruit dans ma main. Ça ressemblait juste à une grosse myrtille. Prenant exemple sur les autres, elle croqua dedans et son visage se crispa aussitôt. Le goût était terrible. Pire que les potions Mél, d'une amertume effarante. Ne pas le recracher lui demanda un effort monstrueux. Chacun avait les traits déformés par le supplice. Will faillit s'étouffer. Pour ne rien arranger, la texture caoutchouteuse les força à mastiquer longuement et donc à profiter encore plus de la saveur... Seul Elliot paraissait bien vivre cette dégustation. La chose, enfin avalée, laissait des picotements sur la langue et une agréable sensation de chaleur dans le ventre.

– Par contre, dit Melvin en grimaçant. J'avais entendu dire que le goût était affreux. Effectivement...

Il cueillit les baies accessibles et les plaça sur un bout de tissu qu'il glissa dans l'une de ses poches :

– Je ne sais pas combien de temps nous allons encore rester ici. Avec ça, nous pouvons tenir trois jours.

– Je crois que je préfère me laisser mourir de faim, plutôt que de remanger un truc pareil, chuchota Gabriel, en jetant un regard inquiet sur le roncier.

Cette pause achevée, ils reprient l'ascension. À cause du stress, Selena n'avait pas ressenti les effets de la faim, mais son organisme avait été en manque d'énergie. Les fruits l'avaient requinquée, facilitant l'avancée, qui parfois, ressemblait plus à de l'escalade plutôt qu'une randonnée.

Le chemin les mena sur un plateau, accolé à la paroi rocheuse. Une vue magnifique sur la plaine rouge les attendait. Le soleil, bas dans le ciel, leur offrait un spectacle de feu et de sang. Cet endroit était éprouvant, mais il avait le mérite d'être agréable à regarder...

– Est-ce qu'on s'arrête ? demanda Adam. Pour être sûr que le jour se lève bien tout de suite. Grimper dans la nuit pourrait être dangereux.

– Nous pourrions profiter du terrain plat pour nous reposer, acquiesça Melvin.

Selena les acclama mentalement pour avoir proposé ce qu'elle pensait tout bas. Mais le choix revenait au chef grognon et dénué de conversation. Il paraissait au plus haut de sa forme, contrairement à elle qui, malgré les effets de la baie, avait les jambes en compote. Will hocha la tête :

– Oui, tu as raison.

À l'instant où il donna son approbation, un grondement retentit, coupant aussitôt l'enthousiasme de Selena à l'idée de profiter d'un peu de repos. Quelques cailloux roulèrent puis la montagne s'agita violemment. Elle perdit l'équilibre et, avec un cri, s'effondra au sol. Le séisme était trop intense pour réussir à se remettre debout. Quelques rochers s'écrasèrent. Elle entendait leurs impacts. Ils se rapprochaient de plus en plus. La respiration saccadée, elle ne put que rester face contre terre, les bras protégeant sa tête, à espérer que cela s'arrête rapidement et à ne pas finir écrabouillée. Au bout d'une éternité, les secousses cessèrent, laissant place à un silence pesant et angoissant. Selena ne se releva pas tout de suite, encore choquée, et peu certaine que le cataclysme ait pris fin. Elle avait surtout peur de voir ses compagnons réduits en bouillie par les rochers. Des pieds s'arrêtèrent devant son visage collé au sol. Levant les yeux, elle aperçut Adam, la main tendue. Selena l'attrapa et se remit debout avec son aide.

– Tu n'es pas blessée ? demanda-t-il.

– Non, ça va.

Elle n'osait pas hausser la voix par peur de provoquer un deuxième tremblement de terre. Tout le monde était indemne, à son grand soulagement. Elle n'avait pas envie de rajouter la vision d'une compotée d'être humain, à sa liste de choses traumatisantes vécues.

– J'ai un mauvais pressentiment, annonça Adam.

– Tu n'es pas le seul, dit Gabriel. À mon avis, on ne va pas tarder à tomber sur quelque chose de probablement très mortel.

Un autre grondement se fit alors entendre.

Le Sidh - Les héritiersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant