Chapitre 5

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Je sentis un hurlement naître dans mes entrailles et remonter dans ma gorge, prêt à surgir par ma bouche. Aucun son ne se fit entendre. Je restai quelques secondes frappée d'effroi, plus figée qu'une statue de pierre, incapable de réagir ni de réfléchir, avant que la vie semble revenir en moi comme si l'on m'avait giflée. Dans un élan de panique, je cherchai ce qu'il fallait que je fasse. Je reculai avec horreur et dus m'appuyer sur une chaise pour ne pas vaciller. Ma vue me parut se troubler légèrement tandis que ma tête me tournait. L'odeur me paraissait d'un coup si forte que je ne comprenais pas comment elle avait pu m'échapper lorsque j'étais entrée dans le salon.

Je finis par parvenir à traverser la pièce, à sortir sur le palier et à marteler la sonnette de l'appartement d'en face. Un homme qui avait l'âge d'être mon grand-père, assez bourru mais qui s'était toujours relativement entendu avec mes parents, m'ouvrit, énervé de mon raffut. Je me souvins l'avoir surnommé M. Moustache quand j'étais petite, parce qu'il l'avait épaisse et grise, lui cachant à moitié les lèvres.

Incapable de m'exprimer, je le pris pas le bras et l'entrainai de toutes mes forces chez moi.

— Qu'est-ce que tu fabriques, petite, bon sang ? me lança-t-il sans que je prenne le temps d'essayer de lui répondre.

Je ne voulais pas perdre une seule seconde à sortir mon carnet de ma poche. C'était plus simple qu'il constate par lui-même. Nous arrivâmes bientôt devant la scène qui m'avait autant stupéfaite que si l'on m'avait planté par surprise un couteau dans le ventre. Le voisin laissa échapper un juron d'effroi.

Je me précipitai à l'autre bout de la pièce pour m'emparer du téléphone et le lui tendis avec empressement, les yeux suppliant. Heureusement, il connaissait mon handicap, ce qui lui évita de me prendre pour une folle. Il composa aussitôt le numéro des urgences et colla le combiné à son oreille.

Je l'entendis donner mon adresse et expliquer brièvement le problème, mais il me paraissait être très loin de moi, car mes yeux s'étaient de nouveau plongés sur ma mère, et je réalisai que la dernière fois que je l'avais vue, j'étais partie en claquant la porte, dans une fureur noire.

Je tombai brutalement à genoux et fondis en larmes. L'ouragan s'était réveillé, et faisait rage.

*

Une heure plus tard, je me trouvais dans le couloir de l'hôpital, seule, à attendre. Mon voisin avait appelé Audrey et Amélie pour les prévenir, mais aucune des deux n'avait pu être rentrée à temps pour accompagner ma mère dans l'ambulance avec moi. J'avais eu très peur de partir seule avec elle, mais je savais que mon voisin avait déjà été suffisamment gentil en passant les coups de fil nécessaires à ma place. Il m'avait souhaité du courage et frotté chaleureusement l'épaule avant de rentrer chez lui. Puis j'étais montée à l'arrière de l'ambulance, aux côtés de ma mère qui était étendue sur un brancard, et de quelques urgentistes qui s'affairaient autour d'elle. Le voisin leur avait expliqué que j'étais muette mais que je comprenais ce qu'ils disaient. Pourtant, ils ne m'expliquèrent rien de tout le trajet. Comme j'étais incapable de poser des questions, et que j'avais trop peur de les déranger si j'écrivais quelque chose, je fus forcée d'attendre dans le silence et l'incertitude.

Ma mère se retrouva rapidement affublée d'un masque sur le visage, d'un bandeau autour du bras pour mesurer sa pression, et de tout un tas d'autres choses encore qui m'étaient étrangères et me paraissaient presque barbares. Les médecins ne parvinrent pas à la réveiller, mais elle me semblait déjà plus en vie que lorsque je l'avais trouvée, étendue dans un mélange de verre brisé, d'alcool et de sang. Je pouvais voir la buée apparaître sur son masque transparent lorsqu'elle respirait, et elle remuait légèrement.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant