Chapitre 13

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Très peu étaient les passants qui donnaient aux mendiants. La plupart n'y songeait même pas, sachant qu'il était interdit de mendier, ou bien simplement parce qu'ils ne se préoccupaient pas le moins du monde de la misère des autres. Mais de temps en temps, quelques riches au grand cœur ou touristes attendris laissaient une petite pièce et continuaient leur chemin comme si de rien n'était. Pour faire la manche sans risquer de se faire repérer par la police, il fallait se déplacer sans arrêt, ce qui ne facilitait pas la tâche.

Al et moi mendions depuis le matin. Mon visage marqué par les coups que j'avais reçus ne serait pas passé inaperçu parmi la foule si j'avais dû voler ce jour-là, et ne pouvait qu'encore plus m'attirer la pitié des passants. Nous nous asseyions donc quelque part dans la neige, une coupelle devant nous dans laquelle s'empilaient quelques misérables euros et, régulièrement, nous changions d'endroit en essayant de nous réchauffer un peu en marchant.

Par ce temps, les gens ne passaient pas dans la rue pour se promener, ils se dépêchaient de se rendre quelque part, et ne prêtaient donc pas la moindre attention à deux enfants assis sur le trottoir. Alors que nous nous déplacions, je montrai du doigt une bouche de métro à Al. Il réfléchit une seconde, puis lâcha :

— Au moins, on sera au chaud.

Je pénétrai donc dans les souterrains, suivie par le garçon, et sautai les tourniquets pour passer sans ticket. Puis nous nous installâmes dans le premier train qui passa. Nous changions toutes les deux ou trois stations pour ne pas nous faire remarquer. Les gens ne donnaient pas plus que dehors, mais au moins, nous évitions la neige.

— Tu ne veux vraiment pas me dire ce qui t'es arrivé hier ? demanda Al après un moment. T'as vraiment morflé.

J'avais la lèvre enflée, une bosse à l'arrière du crâne, des croûtes de sang séché et un gros hématome qui se dessinait sur la pommette. La douleur n'était pas du tout partie, même si j'essayais de ne pas trop le montrer.

J'hésitai un peu. Charlie n'avait pas eu l'air de vouloir en parler. Mais qu'est-ce qui m'empêchait de le raconter à Al ?

« On s'est fait attaquer par un groupe de mecs », dis-je.

Le garçon ne comprit pas mes signes. Je soupirai en sortant mon carnet, et écrivis ma phrase, qui lui tira une grimace.

— Tu sais qui c'était ?

« J'ai juste entendu un certain Clovis », répondis-je, toujours par écrit.

Al eut de nouveau une moue douloureuse. Apparemment, ce nom ne lui était pas inconnu.

« Qui c'est ? » demandai-je, cette fois en langue des signes parce que j'estimais qu'il pouvait comprendre ça, et parce que ça m'énervait de devoir écrire.

— Un type qui travaille pour Scott, fit vaguement Al. Ils ont dit pourquoi ils s'en prenaient à vous ?

« Pas vraiment, Clovis a seulement rappelé qu'on était jeudi, et ensuite pendant la baston, il a traité Charlie de sale noir », écrivis-je avec des abréviations tout juste compréhensibles.

— Ça sent le pourri, marmonna Al. J'espère que Charlie ne va pas faire de connerie...

« Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il pourrait faire ? Tu sais pourquoi ils ont fait ça ? »

Un homme passa à côté de nous et déposa une pièce dans la coupelle qui était posée sur le siège à côté d'Al. J'avais presque oublié que nous étions toujours en train de mendier. Je me calmai un peu, mais continuai d'interroger Al du regard.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant