Quand je rentrai chez les Apollinaire, il faisait déjà nuit noire et je fus chanceuse de retrouver la maison sans me perdre. Toutes ces villas des quartiers riches me paraissaient identiques. J'ouvris la porte avec la clé que m'avait confiée Mme Apollinaire, non sans de nombreuses recommandations, et me glissai dans la pénombre quasi-totale de l'intérieur sans oser éclairer, de peur de réveiller quelqu'un. Les Apollinaire devaient être dans leur chambre, à regarder la télévision sur le grand écran accroché au mur en face de leur lit, et pour Junior probablement à son bureau, devant son ordinateur. Je trouvai la salle de bain grâce au peu de lumière provenant des lampadaires de la rue qui pénétrait dans la maison par les rares fenêtres dont les volets électriques n'étaient pas baissés. Là, je me changeai rapidement, me brossai les dents en silence et regagnai ma chambre.
En ouvrant délicatement la porte, je crus percevoir un mouvement dans le lit de Louise. Impossible de savoir si elle bougeait dans son sommeil ou si elle était parfaitement réveillée et ne comptait toujours pas m'adresser la parole. De toute façon, de ce point de vue-là, j'étais toute excusée. Personne ne pouvait me trouver impolie de ne rien dire. Je me glissai donc dans mon lit sans le moindre bruit, et me blottis sous la couverture en essayant de ne pas trop remuer les draps. Tous les soirs, c'était la même chose. Je n'arrivais pas à trouver le sommeil, et je n'osais pas remuer un orteil de peur de gêner Louise et de ne la rendre qu'encore plus désagréable. Je dus m'endormir une fois que j'eus réussi à me réchauffer, car le froid de l'extérieur ne m'avait pratiquement pas quittée en rentrant.
*
Le lendemain, je n'étais qu'au petit-déjeuner quand j'entendis des cris à l'étage.
— Quand est-ce que tu comptes te remuer un peu ? fit la voix forte de M. Apollinaire.
— Foutez-moi la paix, je ne suis plus un gamin ! répondit Junior.
— Pas question que j'héberge un étudiant pendant des années ! Il serait grand temps que tu trouves du travail et prennes un appartement !
— Et je commence sérieusement à m'inquiéter de ne jamais te voir fréquenter des jeunes filles, se mêla Marie-Hélène. Tu as un choix immense, tu n'obtiendras rien en attendant que cela se fasse tout seul !
— C'est ma vie, merde ! Vous n'allez pas me dicter ce que je dois faire jusqu'à ma mort !
Je ne pus m'empêcher de rentrer la tête dans les épaules. Ça chauffait sérieusement. Des pas précipités se firent entendre dans les escaliers, à mesure que les voix s'amplifiaient.
— Je fais les études prestigieuses que vous vouliez que je fasse, c'est vous qui m'avez proposé de suivre les cours sur Internet pour être plus au calme ici, alors arrêtez de me presser ! Je ne deviendrai pas avocat en un claquement de doigts ! Et maman, par pitié, arrête de me harceler à propos des filles ! Ça ne te regarde pas, et tu ne connais aucune de mes fréquentations !
— Ne parle pas comme ça à ta mère, gronda M. Apollinaire. Bien sûr que si, ça nous regarde ! Il s'agit quand même de ton avenir, et des enfants qui porteront notre nom !
Je sirotai doucement mon lait chaud, embarrassée de me retrouver à écouter la dispute familiale, mais je ne pouvais ni ordonner à mes oreilles de devenir sourdes, ni partir discrètement m'enfermer dans une autre pièce. De toute façon, ils criaient si fort qu'on les aurait distinctement entendus depuis toute la maison, et même à l'autre bout de la rue.
— Tu n'as aucun sens des responsabilités ! beugla Alexandre à son fils. Tu nous fais honte ! Et arrête de nous mentir, on connait très bien la vérité !
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Silence
General Fiction[J'ai écrit ce roman quand j'avais 15 ans, aujourd'hui je n'en suis plus du tout fière, mais j'ai décidé de le laisser sur Wattpad pour le souvenir. Bonne lecture quand même !] Semaines après semaines, le même évènement se répète. Une liste de dix n...