Chapitre 8

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Je quittai l'appartement sous les regards follement excités des garçons. Je descendis les escaliers par lesquels j'étais arrivée plus de deux heures plus tôt et sortis dans la rue. Un coup d'œil discret me permit de voir de quel côté était parti M. Scott et je le suivis d'un pas tranquille en rasant les murs.

Pour annoncer son idée, le garçon noir dont je ne connaissais pas encore le prénom m'avait entraînée dans la cuisine pour pouvoir parler sans risque que leur patron nous entende depuis la pièce à côté. Les plus curieux nous avaient suivis, s'entassant dans la petite salle encombrée d'objets sales.

— Cet appartement est un peu notre point de ralliement, m'avait-il expliqué. Certains d'entre nous y dorment mais nous passons le plus clair de notre temps dehors.

J'avais supposé qu'ils n'étaient pas sortis ce jour-là parce que nous étions un samedi, en espérant mieux comprendre plus tard. Ils ne semblaient pas déterminés à m'expliquer en quoi consistait le travail, j'avais compris que je devrais d'abord faire mes preuves avant d'en savoir plus.

— Scott ne vit pas ici, avait continué le noir. C'est notre patron mais on ne sait presque rien de lui. Ni son prénom, ni son adresse, ni s'il a une famille ou même s'il a d'autres activités que celles qu'on connait. Il doit être plein aux as avec ce qu'on lui rapporte mais il ne montre aucun signe de richesse. Il partira probablement dans un moment, il ne reste jamais plus de quelques heures ici. Tu n'auras qu'à le suivre sans te faire remarquer et nous rapporter des informations sur lui.

Les garçons qui se bousculaient dans la petite pièce pour l'entendre avaient poussé des exclamations de joie. Ils avaient l'air de trouver cette idée absolument géniale et étaient très excités par ce que cela leur permettrait d'apprendre.

Je n'étais pas très convaincue. Si M. Scott gardait tous ces secrets, il ne serait sûrement pas content d'apprendre qu'on l'avait espionné. Il faudrait que je fasse tout pour qu'il ne me voie pas, et si jamais je n'y parvenais pas, je pourrais tirer un trait sur ce travail. Le noir avait confirmé mes craintes comme s'il avait lu dans mes pensées.

— Si tu te fais remarquer ou si tu ne nous rapportes aucune information satisfaisante, on ne t'embauchera pas.

— Mais si Scott le chope, tu vas passer un sale quart d'heure pour lui avoir demandé de faire ça ! lui avait lancé un garçon.

— Tu seras viré ! avait ajouté un autre que cela faisait bien rire.

Le noir ne s'était pas démonté. Il les avait toisés d'un air supérieur et très dissuasif en se faisant craquer les doigts.

— Celui qui racontera à Scott que c'était mon idée aura affaire à moi, et il s'en souviendra longtemps.

Puis il s'était tourné vers moi et m'avait regardée droit dans les yeux, de ses yeux d'un noir d'encre.

— Tu n'as pas vraiment intérêt à te planter.

Puis il était parti en poussant les garçons qui avaient le malheur de se trouver sur son passage.

Je n'avais jamais pris qui que ce soit en filature, et encore moins un homme dont je ne savais que le nom, que j'avais rencontré à peine quelques heures auparavant et dont la première impression que j'avais eue n'était pas très rassurante. J'étais décidée à remplir ma mission, mais je ne pouvais pas empêcher mes jambes de chanceler. Je ne savais pas dans quoi j'étais en train de mettre les pieds. Tout cela ne m'inspirait pas vraiment confiance, mais pour la première fois de ma vie, je m'engageais dans quelque chose d'un peu dingue, et ce goût d'inconnu me plaisait un peu plus qu'il n'aurait dû. J'avais à la fois l'impression de faire une grosse bêtise et d'enfin prendre ma vie en mains. De toute façon, je n'avais pas grand-chose d'autre à faire que d'essayer et de voir où cela me mènerait.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant