Chapitre 15

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Quelques jours s'écoulèrent sans que je remette les pieds dans mon ancien quartier. J'avais encore moins qu'auparavant envie de croiser mes sœurs. La prochaine fois que l'une des deux irait voir Pierrick en prison, il lui raconterait ma visite, la façon dont j'avais changé mais n'avais rien voulu lui raconter, et comment j'étais partie en catastrophe sans qu'il comprenne pourquoi. Je m'en voulais de l'abandonner dans cette prison remplie de brutes et de faire faire du souci à Amélie et Audrey, mais c'était sûrement déjà mieux que de leur annoncer que j'avais travaillé avec des voleurs et des tueurs, et qu'à présent je vivais dans la rue et souffrais de la faim. Je commençais sérieusement à me demander combien de temps durerait cette situation, et combien de temps je tiendrais. Quelque chose devrait bien y mettre fin, d'une façon ou d'une autre.

Un matin, visiblement à l'heure de pointe, je m'engouffrai dans une bouche de métro en espérant me réchauffer un peu. Je n'avais pas réussi à fermer l'œil de la nuit à cause du froid. Je n'aimais pas me retrouver plongée au milieu d'une si lourde masse de personnes. Depuis quelques temps, il arrivait que des gens me regardent de travers et ne veuillent pas s'approcher de moi. J'avais l'impression d'être prise au piège. Si des contrôleurs ou la police intervenaient, ou si absolument n'importe quoi arrivait, je ne pourrais pas m'enfuir facilement.

En attendant le train qui me mènerait n'importe où, je m'approchai du bord du quai car il s'agissait du seul endroit légèrement dégagé. Quand la gare était bondée à ce point, les gens savaient qu'il était risqué de se tenir trop près des rails car une bousculade pourrait aisément faire tomber quelqu'un. Mais je ne faisais pas vraiment attention aux risques.

Je regardais mes pieds, les mains fourrées dans mes poches, quand une voix me parvint depuis le quai d'en face, par-dessus le brouhaha dense.

— Antoine !

Je levai les yeux avec étonnement. Ça ne devait pas être pour moi. Qui pourrait bien m'appeler ? Pourtant, après avoir scruté la foule un moment, j'aperçus un visage noir au milieu de tous les blancs. Charlie jouait des coudes pour s'approcher du bord.

Il était bien la dernière personne que j'avais envie de voir. Mais j'étais si surprise que je restai immobile, à le fixer. Il me fit de grands gestes et lança quelque chose que je ne compris pas. La foule des deux côtés nous pressait et faisait un bruit qui envahissait tous les souterrains, sans compter que nous étions séparés par des rails suffisamment larges pour que deux trains se croisent. Je voyais Charlie articuler quelque chose mais ne parvenais à entendre que des bribes de mots. Je haussai les épaules d'un air impuissant. Il eut une moue un peu énervée et s'avança encore plus près du bord, l'extrémité des chaussures presque dans le vide.

Alors que le sifflement d'un train qui arrivait dans le tunnel retentissait, je vis Charlie esquisser quelques gestes hésitant des deux mains.

« Je dois te parler », fit-il en langue des signes.

Alors que j'étais stupéfaite, le train passa devant nous à toute vitesse et s'immobilisa. Il se trouvait de mon côté du quai, mais je ne montai pas dedans. La foule se pressa autour de moi pour s'engouffrer à l'intérieur, je dus batailler pour ne pas être emportée avec elle. Je ne savais pas ce qu'il fallait que je fasse. Je ne voulais pas parler à Charlie. Mais le fait qu'il insiste à ce point et qu'il se souvienne des rares signes qu'il avait appris auprès de moi pour me dire quelque chose attisait ma curiosité.

Le train repartit en s'ébranlant et je me retrouvai quasiment toute seule sur le quai, avec seulement les quelques personnes qui n'avaient pas pu pénétrer dans le train. En face, il y avait toujours autant de monde, et le contraste était saisissant. Mais Charlie avait disparu.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant