Chapitre 14

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Neige, froid, nuit, fatigue, larmes, peur.

Mon souffle haletant que je n'étais pas capable de calmer, les battements fous de mon cœur qui me transperçait la poitrine.

Je sentais comme une fièvre démente me serrer le crâne dans un étau et brouiller mes pensées. On aurait dit que mon corps ne m'appartenait plus, mes jambes couraient d'elles-mêmes et malgré la souffrance que je ressentais dans chacun de mes membres, j'éprouvais une étrange sensation de lointain.

Comme s'il était impossible que tout cela m'arrive, à moi. Cela ne pouvait être qu'une étrangère, une pauvre fille que je ne connaissais pas. Non, moi j'avais un foyer, une famille, un travail honnête. Je ne comprenais pas ce qui se passait...

Cette fille étrange glissa et s'étala dans une grande flaque glacée au milieu de la route. Elle resta quelques instants là, trempée, frissonnante, abattue, comme si soudainement elle n'était plus capable de marcher. Elle finit par se traîner, à moitié à genoux, à moitié sur ses pieds, jusqu'au trottoir, et s'assit sur le petit rebord. Elle était couverte d'un mélange de neige et de boue, les larmes qui coulaient à flots de ses yeux venaient s'y ajouter, comme si cela ne suffisait pas. Comme elle était pitoyable...

Eau, crasse, ombres, misère, honte, terreur.

La lumière violente des phares d'une voiture se rapprocha rapidement avec un bruit de moteur et une gerbe de neige vola quand les pneus passèrent à quelques centimètres de moi à peine, probablement sans même que le conducteur m'ait remarquée.

J'entourai mes jambes de mes bras et me recroquevillai sur place, comme pour être avalée par l'obscurité. Il ne fallait pas que Charlie me retrouve... Et s'il avait attendu de savoir si j'étais digne de confiance pour me dire qu'il était un chasseur de primes, et maintenant allait me tuer pour que je ne puisse le raconter à personne ? La loi l'autorisait à assassiner les proscrits, mais il avait quand même plutôt intérêt à garder le secret s'il ne voulait pas subir de vengeances...

Une deuxième voiture me frôla et je basculai en arrière pour éviter qu'elle me roule sur les pieds. Je me traînai un peu sur le trottoir et me remis debout en m'appuyant contre le mur. J'avais l'impression que tout dansait devant mes yeux, des sensations bizarres déferlaient en moi.

Qu'allais-je faire maintenant ? Où allais-je aller ? Tant de fois que je me posais les mêmes questions, et tant de fois que je ne parvenais pas à trouver de réponse...

*

Je ne fus même pas capable de me souvenir d'où j'avais dormi cette nuit-là, ni comment je m'y étais retrouvée. Mes pas avaient probablement fini par me guider quelque part, n'importe où, pour me rouler en boule dans un coin à peine abrité et céder à la fatigue, mais me réveiller sans cesse, complètement paniquée par des rêves dans lesquels plusieurs meurtriers, dont un à la peau couleur de nuit, m'attaquaient.

Le lendemain, j'arpentai les rues sans aller nulle-part, simplement de peur que Charlie ou un autre garçon du groupe me retrouve, et aussi pour avoir l'impression de faire quelque chose. Il fallait que je continue de gagner de l'argent. J'avais beaucoup appris ces dernières semaines, je devrais bien être capable de me débrouiller seule.

J'essayai donc de faire les poches à des passants peu attentifs. Mes tentatives réussissaient une fois de temps en temps mais échouaient assez souvent. Un homme se retournait juste au moment où j'allais passer à l'action, et je devais continuer mon chemin mine de rien. Une femme changeait de direction à l'instant où je m'apprêtais à faire semblant de la bousculer. Au fil des heures, je n'avais réussi à amasser que quelques pièces.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant