Chapitre 25

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Charlie m'emmena là où nous avions déjà passé quelques nuits tous les deux, ce recoin isolé entre les toits et les balcons d'un quartier calme. J'étais un peu inquiète de me cacher là où j'avais déjà mis les pieds, mais le jeune homme m'assura que nous étions les deux seuls à en connaître l'existence.

Nous ne parlâmes pas beaucoup après ses révélations. Je ne savais pas lequel de nous deux était le plus gêné. Il avait conservé son attitude confiante et froide, mais je voyais bien qu'il avait encore quelque chose en travers de la gorge. Il croisait peu mon regard et il m'arrivait de le surprendre à se triturer les doigts, chose que je ne l'avais jamais vu faire auparavant.

« Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? » demandai-je à Charlie lorsque nous fûmes à peu près installés, tous deux assis contre le mur, les bras croisés.

— Toi, tu ne bouges pas d'ici, répondit-il. Ce n'est pas parce que tu as échappé à quelques gars que tu es complètement tirée d'affaire. On n'est pas les seuls chasseurs de primes de la ville, n'importe qui peut nous tomber dessus.

« Et toi ? » fis-je avec une pointe d'inquiétude.

L'idée de me retrouver seule ici me paraissait terrifiante, mais je ne voulais pas admettre que j'étais dépendante de Charlie.

Il se frotta le menton, et je me demandai s'il se rasait ou si ces quelques poils de barbe étaient tout ce qu'il avait.

— Après ce que j'ai fait, je ne pourrai plus bosser pour Scott. De toute façon, il était temps que je parte. Mais je ne vais pas rester là sans rien faire, j'irai nous chercher de quoi manger.

Je hochai la tête, un peu rassurée. Il n'allait pas me laisser tomber.

Après un moment silencieux, je repris la conversation.

« Tu as travaillé longtemps pour Scott ? »

Charlie semblait ne plus avoir aucun problème pour comprendre mes signes. C'était agréable de pouvoir parler librement, sans avoir à trouver un autre moyen de communication.

— Je me suis barré de chez mon oncle à... treize ans, un truc comme ça. Des jeunes qui bossaient pour Scott m'ont pris la main dans le sac en train de voler dans un magasin, où ils allaient probablement voler aussi. J'ai cru qu'ils allaient me cogner, mais ils m'ont amené chez Scott.

Il eut un rictus amer.

— Avec toutes ses promesses, j'ai cru qu'il allait me sortir de mon pétrin. Et puis finalement, je me suis enfoncé encore plus. Il profite de la faiblesse de gosses pour se faire de l'argent. Il se fiche de nous traiter comme des chiens. Il se fiche qu'on dorme dans la rue, qu'on crève de faim, qu'on risque d'aller en taule, qu'on fasse des choses de plus en plus graves.

Il attrapa un petit caillou qui gisait près de son pied, le retourna un peu entre ses doigts et le lança au loin, les muscles de son bras crispés, l'air grave. Il resta quelques instants le regard perdu dans la direction où il l'avait jeté, les poings serrés. Je pouvais sentir toute la rage qui bouillonnait en lui, et elle me faisait peur.

— Scott est un salaud, lâcha-t-il avant de tourner la tête vers moi pour me lancer un regard d'un noir d'encre. Crois-moi, un jour, je le tuerai.

*

Je me retournai, à moitié endormie, dans l'espoir de trouver une position plus confortable. Je ne parvins qu'à renforcer la douleur qui me vrillait le dos et les membres, et cela finit de me réveiller. J'ouvris les yeux. L'obscurité était presque totale, le silence parfait. L'air de la nuit était froid, mais ce n'était rien en comparaison avec l'hiver que j'avais connu. Je contemplai le balcon pendant plusieurs secondes avant de me rendre compte que Charlie n'était pas là.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant