Chapitre 23

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Je titubai jusqu'à une rue plus calme, où je m'appuyai contre le mur et fermai les yeux. Je ne pouvais pas être proscrite, c'était impossible. J'avais toujours eu peur pour mes proches, pour mon frère en prison, mais pour moi-même, cela ne m'avait même jamais traversé l'esprit.

Et pourtant, c'était une évidence. M. Apollinaire m'avait fait proscrire. Cela ne faisait aucun doute, mais pourquoi ? Qu'avais-je fait ? Il avait dû engager la procédure il y a quelques jours, compléter un dossier sur moi et il m'avait renvoyée en sachant que je figurerais dans la liste ce jour-là. Je songeai à l'ancienne domestique qui avait été licenciée sans explication, exactement comme moi. Avait-elle été proscrite, elle aussi ? C'était peut-être idiot, mais j'en étais persuadée.

Je m'assis sur le rebord d'un trottoir et posai mon sac à côté de moi. Ma tête tomba mollement sur mes mains. Je n'arrivais pas encore à réaliser le danger qui planait sur moi, à présent. J'allais mourir. C'était certain, tous les proscrits mouraient. Ils avaient beau fuir, se cacher, les chasseurs de primes les retrouvaient toujours. Je ne savais pas trop comment réagir. J'aurais probablement dû être terrifiée, pleurer, mais au lieu de ça, j'étais calme, les yeux perdus dans le vague. Je n'avais aucune idée de ce qui allait m'arriver. La seule certitude était que j'allais mourir, d'une façon ou d'une autre.

Je repensai sans raison apparente aux papiers que j'avais volés à mon ancien patron. C'était un geste puéril, mais cela n'avait plus vraiment d'importance. Je les sortis tout de même, pour au moins savoir ce que j'avais emporté, et si cela créerait des problèmes à M. Apollinaire.

Sans surprise, il s'agissait de dossiers tels que j'en avais classés des dizaines. Chaque papier concernait une affaire, une personne. Il y avait les accusations, les preuves, tout un tas de procédures judiciaires auxquelles je ne comprenais pas grand-chose, et le verdict. Je parcourus toutes les feuilles, avant d'en trouver une sur laquelle figurait mon nom. Je parcourus les lignes en diagonale. A l'emplacement concernant les délits figuraient les quelques mots : « A écrit de nombreux textes contenant des propos inappropriés sur la société et le gouvernement. » Et un peu plus bas, à l'endroit correspondant à la sentence : « Proscrite ».

Je me remémorai tout ce que j'avais pu écrire. C'était toujours sur la tablette, cachée dans mon lit, et je gardais l'appareil avec moi toute la journée. Comment les Apollinaire l'avaient-ils su ? La réponse m'apparut comme une évidence, et je me pris la tête dans les mains en soupirant.

M. et Mme Apollinaire pouvaient lire tout ce que j'écrivais sur la tablette, probablement par l'intermédiaire de leurs propres appareils. Je ne connaissais rien à ces technologies, mais il y avait forcément un moyen pour qu'ils reçoivent directement sur leurs écrans chaque mot que je tapais sur le mien.

Je me souvins du jour où j'avais voulu raconter à Louise ce en quoi consistait vraiment le travail de M. Apollinaire. Je n'avais jamais pu taper mes phrases jusqu'au bout, car la tablette s'éteignait toujours, pour se remettre à fonctionner un moment après. De plus, Mme Apollinaire était venue nous couper dans notre conversation en nous redonnant du travail, exactement au moment où je n'arrivais plus à utiliser la tablette. De toute évidence, elle surveillait ce que nous nous disions et c'était elle qui avait bloqué l'appareil, par un moyen ou un autre.

Je froissai rageusement les papiers que je tenais toujours et les écrasai au fond de mon sac. En me donnant cette tablette, j'avais cru que mes patrons me faisaient un cadeau pour me faciliter la vie. Au lieu de ça, ils avaient seulement trouvé un moyen de me surveiller, de me contrôler.

Une pensée me traversa subitement l'esprit. Etait-il possible qu'en lisant ce que j'écrivais ils aient découvert ce qui était arrivé avec Junior ? Le jour où je l'avais trouvé avec son ami, j'avais écrit tous mes sentiments, mais heureusement, c'était sur un carnet, comme toute la conversation qui avait suivi. En revanche j'avais déjà discuté avec Louise en utilisant la tablette, mais je n'avais jamais rien écrit qui pouvait laisser penser qu'il s'était passé quelque chose, ou que j'éprouvais quoi que ce soit pour Junior.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant