Chapitre 26

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Scott était étendu de travers, les yeux encore ouverts, les pupilles fixes, un filet de sang coulant au bord de sa bouche béate. La tache de sang sur son tee-shirt s'élargissait à vue d'œil et entre les déchirures du tissu, on pouvait apercevoir la forme de la plaie. J'avais l'impression qu'il allait tourner la tête et se relever d'un moment à l'autre, mais ses membres inertes et ses traits figés ne laissaient aucun doute. Je voulus détourner les yeux de peur qu'une nausée ne me remonte dans le ventre, mais j'étais pétrifiée.

Charlie et Clovis étaient debout près du corps, silencieux. Charlie essuyait nonchalamment son couteau sans regarder le cadavre de celui qu'il avait tué. Clovis avait les bras ballants, le regard vide.

— J'aurais pu le faire moi-même, lâcha-t-il finalement.

Charlie leva des yeux énervés.

— Je te rappelle que tu as failli tout faire foirer ! Il aurait pu tuer un de nous trois, les coups de feu auraient attiré des gens... Tu n'as fait que nous mettre dans la mouise ! La prochaine fois, ne fais rien, ça se passera bien mieux.

Clovis marcha jusqu'à lui en enjambant le corps.

— J'en ai marre de la façon dont tu me parles, aboya-t-il. Tu vas te calmer tout de suite ou je te...

Je me plaçai entre les deux garçons avant qu'il ait le temps de finir sa phrase.

« Ce n'est pas le moment de se disputer, dis-je à Charlie, qui traduisit brièvement à Clovis. Il faut qu'on se débarrasse du corps. »

J'avais essayé d'y réfléchir toute la journée de la veille, mais mes pensées étaient obnubilées par toute sorte de choses différentes et je n'avais pas vraiment réussi à me concentrer sur cette question. Je ne voyais pas beaucoup de possibilités. L'enterrer, le couler, le brûler. Le faire disparaître au fond de la Seine paraissait le plus envisageable. Comme je ne me sentais pas vraiment de proposer quoi que ce soit à Charlie et Clovis, je me contentai de les regarder en attendant qu'ils disent quelque chose. Clovis faisait les cent pas en se grattant la tête. Je n'espérais pas vraiment de suggestion brillante de sa part. Charlie, comme toujours, était posé et silencieux. Il regardait le corps à ses pieds avec un air grave, presque inquiétant.

— Voilà mon idée, dit-il finalement sans même tourner les yeux vers nous. Je ne pense pas que qui que ce soit alerte rapidement la police de sa disparition. De tout ce que je sais de lui, c'est évident que c'est un type solitaire qui ne fait pas confiance à grand monde pour son business, et ce n'est pas le genre à être entouré d'une famille et d'amis très proches. Les flics débarqueront ici dans un moment, et il faudra encore du temps avant qu'ils comprennent qu'il a été assassiné, et qu'il n'est pas juste en vacances à la mer.

Il parlait avec un ton étrangement calme pour un homme qui venait d'ôter la vie de quelqu'un, il prononçait sans frémir le mot « assassiné ». Ce garçon m'avait toujours fait peur, mais je ne l'avais jamais vu aussi sinistre. La mort change les gens, dans un sens particulièrement étrange.

— Quand la police commencera son enquête, ils fouilleront d'abord l'appartement. Ils vont trouver des papiers prouvant qu'il était à la tête d'un réseau important de bandits et de chasseurs de primes. Ils ne mettront pas beaucoup de temps à comprendre que c'est quelqu'un qui a à voir avec tout ça qui l'a tué, quelqu'un qui avait une raison de vouloir sa mort. Ils suspecteront les gosses qu'il engageait en se doutant bien qu'il les traitait comme des chiens. Et parmi eux, qui serait capable de commettre un crime aussi horrible, à part ses deux meilleurs chasseurs de primes ?

Clovis s'arrêta net et leva des yeux inquiets vers Charlie. Celui-ci n'avait fait que déclarer tout haut ce à quoi je ne cessais de penser depuis le début, mais il semblait que les conséquences de ce que nous avions fait venaient tout juste de nous frapper au visage.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant