Chapitre 19

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Ma relation avec Louise s'apaisa effectivement, pour revenir à une ambiance sérieuse de travail sans amitié particulière ni hostilité. Les Apollinaire ne s'étaient pas plus occupés de notre dispute, préférant sûrement nous laisser régler le problème entre nous. De toute façon, nous n'avions pas le choix, il fallait cohabiter ou bien l'une des deux devrait partir.

Je continuai à assister M. Apollinaire le soir, et j'ignorai les regards noirs que continuait à me lancer quelques fois Louise. Elle était vraiment terriblement jalouse.

De temps à autres, en triant des dossiers ou des e-mails, je découvrais des informations à propos d'un proscrit. Mais je ne pouvais rien faire d'autre que fermer les yeux, et oublier jusqu'à la prochaine fois que cela se produisait. Les noms me tournaient dans la tête, comme si j'avais connu ces gens. Il y avait rarement des photos, mais quand j'en voyais, elles me laissaient le cœur en ruines.

J'avais entamé une sorte de petit rituel. A chaque fois que je découvrais une telle affaire, le soir, une fois isolée, j'écrivais dans mon carnet la cause de cette proscription. La page se remplit assez vite, même si les cas étaient toujours relativement semblables. « Peinture, musique, livre, vidéo, tracts, affiches... » Il ne s'agissait que de personnes qui avaient réalisé des œuvres que les juges trouvaient incorrectes. Je ne savais pas vraiment pourquoi je notais tout cela, mais j'avais comme besoin de garder une trace de ce dont j'étais témoin, à défaut de ne pouvoir en parler à personne.

Plusieurs semaines après que je sois arrivée chez les Apollinaire, Marie-Hélène nous réunit Louise et moi dans le salon, pour nous parler de quelque chose qui lui tenait beaucoup à cœur.

— J'ai invité des amis à manger dimanche soir prochain, dit-elle. Nous serons neuf à table. Je veux que vous soyez présentes toutes les deux pour cuisiner et faire le service. L'une de vous deux pourra prendre un congé le lundi à la place.

Nous hochâmes la tête en même temps. Louise avait l'air parfaitement neutre, presque blasé. Quant à moi, ce serait la première fois que je servirais des invités chez les Apollinaire, et je ne savais pas trop à quoi m'attendre.

— J'ai déjà réfléchi au menu, continua Mme Apollinaire, nous regarderons ça toutes les deux, Louise. Je veux que tout soit impeccable. Les plats devront être parfaits, la table décorée, vous deux irréprochables, constamment prêtes à nous servir. Ce sont des amis de longue date, et nous nous sommes toujours reçus ainsi.

Puis elle nous abreuva de détails et d'ordres pour que tout soit exactement comme elle l'imaginait. Pendant qu'elle parlait sans prendre une seconde de repos, je ne pus empêcher mes pensées de papillonner. J'espérais que Louise retienne tout, sinon cela risquerait de me retomber dessus.

Le grand jour arriva. Enfin, pour moi, ce n'était qu'un jour comme les autres, avec simplement plus de travail, mais Mme Apollinaire, elle, ne tenait pas en place. Elle avait conservé sa rigueur et son calme caractéristiques, mais elle était plus sèche que d'habitude, on la sentait presque nerveuse. Je trouvais tout cela démesuré pour un simple dîner, mais je savais qu'il ne fallait pas la décevoir.

Une heure environ avant que les invités n'arrivent, Mme Apollinaire, qui nous surveillait étroitement Louise et moi depuis le début de l'après-midi, nous annonça qu'elle allait se préparer.

— Vous feriez bien d'en faire de même, dit-elle avant de monter dans sa chambre.

Louise me laissa occuper la salle de bain la première, préférant ne pas trop quitter le repas des yeux. Je m'enfermai donc, contente de pouvoir profiter de quelques minutes de tranquillité.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant