5- Passé : 2010

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2010

Helena n'avait jamais réussi à tisser des liens avec sa fille. Malgré l'amour qu'elle lui portait, elle l'avait trop longtemps tenue pour responsable du départ de son petit ami.

Elle n'avait que 18 ans quand elle avait rencontré Kamel. Elle travaillait dans une boutique de joaillerie à l'aéroport ; il était agent de voyage spécialisé dans les séjours en Orient. Ils avaient sympathisé, puis un jour, il lui avait déclaré sa flamme et demandé sa main. Sous le charme du Libanais, elle avait dit oui. À l'annonce de leurs fiançailles, leurs parents avaient fulminé de rage, ils étaient bien trop jeunes et surtout, ne venaient pas du même monde. Passionnément épris l'un de l'autre, ils n'en avaient eu que faire de leur âge ou des différences de culture, ils désiraient simplement être ensemble pour toujours. N'était-ce pas l'essentiel ? Se réveiller dans les bras de son amour ? Vieillir aux côtés de l'être aimé ? Ils s'étaient donc mariés et tout avait semblé parfait, peut-être un peu trop. Elle découvrit son vrai visage quand elle lui annonça, un an plus tard, qu'elle était enceinte. La jeune épouse, tout heureuse, ne s'attendait pas à ce que son mari lui ordonne froidement : « Avorte. » Ils avaient certes parlé d'avoir des enfants, mais pas maintenant, c'était trop tôt, il avait des ambitions. Kamel voulait fonder sa propre affaire, il ne comptait pas gaspiller son argent pour entretenir un mioche. Il désirait s'installer à Durban !

Et puis, ils étaient bien tous les deux ! Un bébé gâcherait leur complicité, ils n'auraient plus de temps à eux. Helena avait refusé d'avorter, cet enfant qui grandissait en elle, elle l'aimait déjà. C'était une chose de voir les changements opérer dans son corps. Son ventre s'était arrondi, ses seins avaient doublé de volume, sa peau était douce, ses cheveux brillants.

Persuadée qu'ils y arriveraient et qu'ils seraient de bons parents, Helena sut qu'elle prit la bonne décision en gardant son enfant. Au fur et à mesure que son ventre s'était arrondi, il s'était détourné d'elle, son regard sur elle avait changé. Il avait paru dégoûté, il n'avait plus voulu la toucher, sa grossesse ressemblait à une maladie contagieuse. Helena avait accepté son indifférence et avait espéré que son attitude changerait quand le bébé aurait été là, quand il aurait tenu leur fille pour la première fois dans ses bras. Elle avait même choisi de l'appeler, en son honneur, Kamelya...Or, la situation avait empiré. Il s'était mis à rentrer de plus en plus tard, éméché et sentant le parfum de femmes. Il ne s'en était pas caché et avait justifié son inconduite par son besoin de s'amuser après sa journée stressante au travail. Il avait désiré avoir une femme dans son lit, pas une mère. À la naissance de l'enfant, il ne lui avait jamais accordé le moindre intérêt. Elle représentait, à ses yeux, l'échec de son idylle avec sa belle Helena. Celle-ci en avait le cœur brisé. Comment l'homme romantique et plein d'attentions dont elle était autrefois tombé amoureuse avait pu alors se montrer aussi égocentrique et infidèle, après si peu de temps ? Quotidiennement insultée et rabaissée, Helena n'était pourtant pas parvenue à le détester, c'était de sa faute à elle, après tout, elle aurait dû lui mettre un terme à sa grossesse.

Son humiliation avait duré six ans, jusqu'au jour où le séduisant Kamel avait décidé de quitter la maison. Il les avait abandonnées elle et sa fille, dans cette villa, avec un crédit et des factures impayées. Helena avait dû revendre la maison, emménager dans un appartement miteux et cumuler plusieurs emplois pour venir à bout des dettes laissées par son mari.

Aujourd'hui Helena ne regrettait plus d'avoir sa fille, mais la douleur de l'abandon était présente. Son univers s'était écroulé quand leur histoire s'était terminée. Elle avait cru jusqu'au bout que son premier amour lui reviendrait, qu'il se remémorerait leurs instants de bonheur et qu'il prendrait conscience qu'elle était LA femme de sa vie. Mais les choses ne s'étaient pas passées ainsi et elle se retrouvait à élever seule une jeune fille de 19 ans qu'elle ne connaissait plus. Les années étaient passées trop vite. Les petits boulots qu'elle faisait pour élever Kamelya l'avaient privé de voir sa fille grandir, quelle ironie ! Elles cohabitaient, se croisaient parfois le matin quand Helena n'était pas trop fatiguée pour s'occuper de la maison après sa nuit, à faire le ménage dans les bureaux d'un centre d'affaires, ou le soir juste avant qu'elle prenne son service. Plusieurs elle avait surpris Kamelya qui flirtait avec son copain. Elle avait voulu la mettre en garde de ne pas commettre les mêmes erreurs qu'elle, mais elle n'avait pas su s'y prendre et sa fille s'était braquée contre elle. Pourquoi était-ce si difficile de communiquer avec elle ?

Heureusement, la vie lui souriait de nouveau. Un soir, elle était de service au café lorsqu'un homme en costard l'aborda. De suite, il lui plut. Ils devaient avoir le même âge, la fin de la trentaine. Son air sûr de lui, son sourire ravageur l'hypnotisa. Quand elle lui servit à boire presqu'à l'heure de la fermeture, il lui proposa de s'asseoir avec lui. Éreintée, les jambes engourdies, Helena accepta l'offre. Son patron était déjà parti. Ainsi, ils passèrent la soirée à discuter et en parfait gentleman, il lui proposa de la raccompagner chez elle. Une semaine s'écoula, elle et Tobby se voyaient tous les soirs. Il était si prévenant ! Tout comme elle, il avait eu une enfance difficile, sa mère une toxicomane était morte d'overdoses et il n'avait pas connu son père. Malgré les épreuves, il avait réussi à gravir les échelons de la société, il était devenu comptable. Quand Helena lui parla de sa fille Kamelya, il lui fit part de son admiration à élever une adolescente seule.

Très vite, leur relation devient sérieuse. Non seulement Tobby était un homme attentionné, mais il était un amant exceptionnel ! À ses côtés, Helena se sentait de nouveau belle et jeune.

Et que dire de sa rencontre avec sa fille Kamelya ? Il s'était montré à la hauteur de ses espérances. Comme cette dernière avait des difficultés en mathématique, il lui proposa son aide. Très vite, il prit une place dans la famille. Tobby les aidait financièrement, faisant des courses pour elle, lui payait les factures d'eau et d'électricité. Le voisinage l'estimait, il aidait madame Jefferson avec ses problèmes de tuyauterie, madame Carmichael avec son jardin. Avoir un homme sous la main était une chose ! Elle n'avait plus à porter ses courses seule, à déboucher l'évier quand il se bouchait, à se soucier des ivrognes du quartier et leurs incessantes bagarres. Il comblait toutes ses attentes. Le week-end la présence masculine de Tobby à la maison, rendit Kamelya plus docile. L'adolescente avait de suite accroché avec lui. Pour une fois que sa mère ramenait un petit ami digne de ce nom ! Petit à petit, il était devenu comme un grand frère. Il se montrait protecteur avec elle quand à ses relations amoureuses. Il était même jusqu'à prendre sa défense lorsqu'un matin, son petit copain l'avait rabaissé devant lui.

Une fois seule dans sa chambre, alors que l'adolescente pleurait d'humiliation, il se montra si compréhensif :

— Tu mérites mieux que ce crétin ! Une fille comme toi, ça ne court pas les rues.

Tobby arborait une démarche féline. Il s'assit à ses côtés sur le lit et coula sur elle un regard. Sans qu'elle ne sut pourquoi, Kamelya frissonna. Ils étaient de connivence et une lueur inexplicable s'allumèrent dans leurs yeux.

— Merci, fit-elle. Dommage que ma mère ne t'ait pas rencontré avant !

— Ce qui compte c'est le présent, dit en la serrant contre lui.

— Je suis contente que tu fasses partie de nos vies. Tu es en quelque sorte le grand frère que je n'ai jamais eu.

Il émanait de lui une sensualité dont Kamelya avait du mal à ignorer. Peut-être s'il n'était pas le petit de sa mère, elle aurait aimé l'embrasser. Jamais elle n'était encore sorti avec un homme, un vrai ! En plus, il avait sûrement de l'expérience avec les femmes. Elle, elle était encore vierge. Elle s'imagina avec lui. C'est de la folie ! Elle repoussa cette idée en s'éloignant de lui, mit une distance convenable entre eux avant de reprendre :

— Demain, je vais rompre avec Ron. C'est un idiot fini !

— Bien parlé ma belle !

Intérieurement Tobby jubila. Il n'aurait plus à supporter ce gamin en train de tripoter Kamelya. La belle et jeune Kamelya débordante de charmes et de vie ! La voir tous les week-ends ne fit qu'accroître le désir qu'il avait pour elle. Et à en juger à la façon dont elle venait de se mordre les lèvres, la manière dont elle lui a parlé, il ne lui était pas indifférente.

— Tu es si jolie Kamelya, ce qu'il te faut c'est un homme, pas un abruti du lycée. Pour ton âge, tu es si mature ! dit-il les yeux s'attardant sur ses lèvres.

— Merci.

Tobby l'a trouvé JOLIE ! Ouah ! Pour elle, ça signifiait beaucoup. Chacun de ses compliments, elle le recueillait précieusement. Un homme comme lui qui l'estimait ne pouvait que lui redonner confiance en elle.

Les jours suivants, elle pétillait de joie, se pavanait dans des vêtements plus moulants, plus révélateurs. Ron verrait ainsi qu'il ne pouvait pas la traiter comme une roue de secours ! D'un autre côté, elle avait envie de voir les yeux de Tobby briller pour elle, qu'il la complimente encore. Ce qu'elle s'était sentie vivante et aimée ce soir-là !

Un Goût de Bonheur #wattys2017 (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant