11- Passé : Tobby

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1980

Sa maman avait oublié de fermer la porte derrière elle. D'après ses calculs, elle aurait terminé son boulot d'ici une quarantaine de minutes. Pendant ce temps, elle lui avait demandé de faire ses devoirs, de se brosser les dents et de prendre son dîner. Le repas était au micro-ondes. Ses instructions étaient limpides : « Sois sage ! Mange et va te coucher » . Il devait se montrer gentil s'il voulait sortir ce week-end.

Comme chaque nuit, le petit Tobby attendait que sa maman finisse ce qu'elle avait à faire. D'ordinaire, il n'entendait que des cris mélangés. Ceux des clients, telle une délivrance et ceux de sa maman tels des soupirs. Elle n'avait pas l'air de souffrir. Pendant qu'elle se préparait, Tobby s'émerveillait devant chacune de ses tenues brillantes laissant voir un peu de sa nudité. Sur ses lèvres, elle mettait des rouges à lèvres criards, sur ses paupières un train de eye-liner, sur sa peau, des crèmes parfumées à la fraise, sur ses ongles du rouge sombre ou vif.

Seulement ce soir, sa maman avait mal fermé la porte. C'est alors qu'il vit. Il la regarde en train de travailler. C'était donc cela son boulot ! Sa maman nue qui embrassait un inconnu. Sa maman qui faisait du cheval sur un homme nu lui aussi ! Ils avaient l'air de s'amuser, un peu violemment par moment, mais personne ne s'en plaignait.

Et depuis ce soir-là, Tobby n'allait plus se coucher comme il l'aurait dû. NON ! Il désirait comprendre pourquoi ces hommes revenaient voir sa mère à chaque fois. Pourquoi ils en ressortaient toujours plus heureux, sourires aux lèvres, les cheveux ébouriffés. Et pourquoi sa maman criait qu'elle aimait ça !

Il se dit alors que les femmes devaient être ainsi ! Elles étaient là pour donner du bonheur aux hommes de cette façon étrange. Et le petit Tobby se dit que dès qu'il en aurait l'âge, il essayerait lui aussi ce genre de choses. Lui aussi avait envie de goûter au bonheur.

1995

Les rideaux du motel tirés, Tobby âgé de 25 ans dégustait son poulet à présent froid devant un film X. Les canettes de bière jonchaient sur le sol. Manger, boire, faire l'amour, tout ce dont il avait besoin pour être bien. Demain, il chercherait un nouveau job ! Celui de magasinier ne le convenait plus. Désormais, il s'occupait de sa mère qui n'était plus bonne à rien. Au pieux, elle n'était plus utilisable et passait le quart de son temps à se soûler la gueule. Tobby la trouvait encombrante. Si au moins, elle pouvait lui cuisiner des petits plats ! Au lieu de cela, il était obligé de la traîner avec lui dans ses déplacements au gré des boulots dénichés. De temps en temps, quand il trouvait un mec à peu près du même âge, il pouvait en tirer un peu d'argent. Bon...il fallait qu'il la drogue, mais au moins, elle se rendait utile !

Ce soir, il avait d'ailleurs déniché une tenue parfaite pour sa mère. Le gérant du miteux hôtel l'avait complimenté sur sa jolie maman ! Et voilà comment, il leur avait concocté un rendez-vous. Voilà comment il allait se faire un peu de thune !

— Enfile ça m'man !

— Suis fatiguée Tob ! Pas ce soir, ok ?

— Non !!! Tu es ma mère, ton rôle est de subvenir à MES besoins. Mets ça ! Ton client ne tardera pas. Et puis...après toutes ces années, tu ne vas pas me dire que tu en as assez. T'es faîtes pour ça et tu ne sais rien faire d'autre.

Il lui ordonna de boire ce verre alcoolisé avec un petit cachet rond. Puis, le client arriva. Sa mère était détendue et euphorique

— Vous avez quarante minutes. Elle est à vous !

Et Tobby s'éclipsa.

Debout, la tête posée contre le mur, une cigarette à la main, il regardait la fumée qui sortait de sa bouche. Il pensait aux diverses possibilités de boulot. Il avait toujours été fort en mathématiques. Peut-être pourrait-il se payer une école pour devenir comptable. À ce qui parait ça payait bien. Quand sa mère était plus fraîche, elle se tapait des hommes en costard. Ils avaient fiers allures. C'était ses meilleurs clients d'ailleurs ! Le salaire était bon à cette époque ! Sa mère souriait plus souvent quand elle était plus potable. Il est vrai que les années l'avaient usée. Son visage abritait des rides, ses yeux verts autrefois beaux, étaient cernés et pochés. Son regard était devenu vitreux, sa peau cireuse. Sa poitrine s'était relâchée, avait-elle avoué à son fils. Si autrefois, elle avait été élégante, aujourd'hui, ce n'était plus qu'une ombre ! Son corps éculé, son visage émacié. Tobby écrasa le mégot avec son pied. De sa poche, il tira une petite bouteille de rhum. Il en avala le contenu qui lui brûla la gorge. De ses doigts, il fit danser le précieux liquide dans le contenant de verre. Il serait bientôt à court d'alcool.

Enfin le gérant sortit de la chambre, encore en train de rattacher son pantalon, son ventre grassouillet bougea telle de la gélatine. Décidément vieillir ne faisait de bien à personne.

Tobby trouva sa mère en pleurs. Quelle mauviette ! Elle allait encore lui casser les oreilles. Son mascara avait coulé, son rouge à lèvres rouge avait laissé une longue trace sur sa joue. Ses cheveux étaient en broussaille et gras.

— Oh ! TAIS-TOI ! Hurla t'il.

— Tobby !!! Pourquoi tu es devenu si mauvais avec moi ?

— Je ne suis pas mauvais, tu es devenue inutile et inutilisable ! Ce n'est pas de ma faute ! Dit-il en fouillant dans le frigo quelque chose à se mettre sous la dent.

En se levant, sa maman tituba. Ses pieds se prient dans la table basse et elle chancela. Sa tête heurta le coin de table basse avant de s'écrouler violemment sur le carrelage froid.

BAM !

— Oh non ! Je vais encore devoir nettoyer ta crasse, se plaignit-il.

Lorsqu'il la poussa pour essuyer le sang qui dégoulinait de sa tête, elle ne broncha pas. Apparemment, elle était morte ! C'était mieux ainsi. Il n'aurait plus à la traîner avec lui. Et puis en vendant ses bijoux luxueux dont elle n'avait jamais voulu se séparer, il pourrait même se payer son école. En fin de compte, elle avait su comment se rendre utile.

Tobby se débarrassa du corps. La nuit tombée, il la traîna sur le gravier. Ce qu'elle était lourde la vieille ! Il s'arrêta pour prendre son souffle, s'assura que personne ne le voyait puis la poussa encore. Un lac se trouvait juste devant sa chambre. Quelle aubaine ! Évidemment, il pris soin de remplir les poches de sa mère de cailloux, histoire de garder son cadavre le plus longtemps possible sous l'eau. Friand de thrillers, Tobby le savait, un corps en putréfaction provoque la formation de gaz qui le ferait flotter. Rajoutant à cela que c'était de l'eau douce et non salée, il disposait d'à peu près une vingtaine de jours, voir un mois avant que sa maman ne soit découverte sur le dos. C'était une femme, son corps ne dériverait pas de la même façon que celui d'un homme en position ventrale. À moins que son cadavre ne subisse un parcours accidenté s'il y a des courants, mais il n'y avait plus qu'à espérer que ce ne soit pas le cas. Ce fut donc son premier crime ! Enfin...pas vraiment, il ne l'avait tué après tout !

Tobby n'éprouva donc aucune once de remords en le jetant dedans. Il admire la façon avec laquelle son corps se met à couler progressivement au fond de l'eau.

Décidément la vie était bien faites ! Il allait pouvoir recommencer une nouvelle page de sa vie.

Ne trainant pas, il rentra dans sa chambre et rassembla leurs affaires qu'il mit dans la voiture. Rien ne devait rester. À genoux, il entreprend alors de nettoyer le tapis et la table de toute tache éventuelle de sang. Munie de gants et avec de la Javel, Tobby brosse les sanitaires et désinfecte partout. Aucune empreinte ne doit demeurer. Il arrache les draps qu'il jette dans la benne à ordure. Pour ce qui est du propriétaire, il avait bien fait de lui donner un faux nom pour la réservation de la chambre. De toute façon, ce dernier était souvent très saoul, il aurait du mal à fournir une description précise de Tobby. C'était une habitude, au gré des déplacements, lorsque l'argent leur faisait défaut, sa maman et lui empruntaient des noms différents.

Une fois dans la voiture, il se roula jusqu'à l'aube. Ne tenant plus, il fit une pause pipi et déjeuner dans une station service. Deux mini-vans, des taxis bondés de gens font aussi le plein. Le chauffeur de l'un d'eux jaugea l'autre avec mépris. Le van jaune démarra en trombe suivi de l'autre à fond les ballons. Quel drôle de vie ! Tobby regagna sa bagnole, sans traîner, il se rendit à une bijouterie pour vendre les biens de sa mère pour une somme conséquente. Un sourire extatique aux lèvres, il fit de même pour sa voiture, alla ensuite à l'aéroport pour mettre les voiles vers Cap Town.

Des semaines plus tard, le jeune Tobby s'inscrit à l'école tant désiré, se paya une mirobolante voiture et des fringues pompeuses. Il avait enfin ce look des hommes en costard que se tapait sa mère. Il avait de l'allure ! Il était heureux. Avec facilité, il brilla dans ses études, gagna au la main son diplôme. Non sans jouer de son charme, il occupa le poste en tant que comptable dans une grande boîte. Le soir, il enchainait les femmes dénichées dans les pubs, se taillait une réputation de tombeur dans les bars. À son boulot, on le voyait comme le collègue attentionné, intelligent et sûr de lui. La vie était bonne. 

Un Goût de Bonheur #wattys2017 (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant