UnFortunéum

Chapitre 1

Des riches étaient dans le café de Monsieur Bob, ce matin-là. Il était plutôt rare de les voir trainer par ici, mais, quand le besoin s'en faisait ressentir, ils mettaient les pieds dans le quartier Central. En cette matinée de janvier, ces hommes étaient venus apporter le nouvel ordinateur servant à passer les commandes et faire les comptes de chaque fin de journée au vieillard. Ces fortunés ne s'étaient pas éternisés. Voir des hommes luttant pour rester en vie et ressemblant à des cadavres légèrement animés n'était pas leur tasse de thé.

Le gérant du café leur avait souri poliment, mais dès qu'ils eurent le dos tourné, il leur envoyait plusieurs insultes ne franchissant pas la barrière de ses moustaches de peur de représailles. Il se retourna pour faire face à cette nouvelle machine flambant neuve et soupira de désespoir.

— Grand-Père, qu'est-ce qui te rend encore grognon ?

Emy sortit de l'arrière-cuisine avec un bac rempli de vaisselle propre. Ses cheveux étaient noués en une queue de cheval haute et ses mains étaient abîmées. Le mélange du froid et du produit de nettoyage étaient destructeur pour les gens du quartier. Les paumes de ses mains étaient aussi rêches que le bois du comptoir, usé par le temps et les années à servir les pauvres.

— On m'a apporté un nouvel ordinateur pour faire les comptes mais je suis bien incapable d'en comprendre le fonctionnement.

La jeune femme posa ce qu'elle avait dans les mains et s'approcha davantage du nouveau gadget.

— Eh bien, Grand-Père, on va procéder par étape. Premièrement, je vais t'aider à débrancher l'ancienne machine et nous allons la descendre à la cave. Ensuite, nous allons déposer la nouvelle à la bonne place. Et enfin, je te ferai tous les branchements et je t'expliquerai le fonctionnement de ton nouveau jouet, expliqua la brune en souriant, comme à son habitude.

— Merci ma Grande, tu me sauves la vie. Parce qu'ils sont bien gentils avec tout leur pognon qui déborde de leurs poches, mais il n'y en a pas un pour m'expliquer comment faire démarrer ce truc. Tous des incapables, ces riches !

— Grand-père ! Moins fort, on risquerait de t'entendre.

Après cette réprimande, le vieillard prit la jeune fille dans ses bras en guise d'excuse et de remerciement. Il ne savait pas où elle avait appris à manier l'art de l'outil informatique mais il lui en était reconnaissant.

***

Emy s'essuyait le front afin d'enlever la sueur qui avait coulé suite à l'effort. La descente de l'échelle menant à la cave avait été un exercice périlleux, surtout avec un ordinateur en main. Monsieur Bob lui avait proposé son aide à de multiples reprises mais l'homme commençait à prendre de l'âge et il n'aurait pas été concevable, pour la jolie brune, de laisser son grand-père faire une activité aussi dangereuse. Ses bras étaient comparables à de la bouillie et cela tenait encore du miracle si Emy était encore debout.

Néanmoins, la jeune Emy Clarks était fière d'avoir réussi. Elle venait de finir d'installer le nouvel engin, qualifié de révolutionnaire pour la prise de commande. Elle l'épousseta quelques instants avant d'appuyer sur le bouton le plus voyant : celui du démarrage. L'écran s'illumina et une lumière envahit le mur derrière le comptoir. L'attente était un peu longue, mais Emy resta patiente, les yeux rivés sur l'écran, ne quittant pas une seconde la barre de chargement du regard. Elle se massa les poignets afin d'adoucir la douleur qui lançait ses bras. Ses doigts passèrent sur son tatouage et ses sourcils se froncèrent. Elle stoppa son massage et regarda de nouveau l'ordinateur.

Ce fut plusieurs minutes plus tard que le bureau de l'ordinateur affichait de multiples petites icônes et qu'Emy pouvait recommencer son travail. Il était temps d'installer les logiciels. Elle commença par les plus rudimentaires : ceux dont son grand-père aurait besoin le plus souvent, comme celui qui permet de simuler les commandes ainsi que les applications de base comme le traitement de texte.