Chapitre 7

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Cela faisait un an, jour pour jour, que le quartier Central n'avait pas autant brillé. Chaque visage arborait un sourire, chaque habitation semblait plus belle que jamais et chaque discussion était joyeuse. Le Trente Octobre, le malheur, la peur et l'angoisse étaient bannis dans ce secteur de la ville. Les enfants jouaient et les parents pouvaient les admirer, le temps d'une journée, sans se soucier du lendemain, sûrement atroce, qui leur était réservé. Les discussions de voisinage se répandaient à travers les rues. Une fois par an, c'était comme la redécouverte de son propre quartier : chaque habitant allait à la rencontre de l'autre et échangeait des paroles profondes ainsi que des banalités. Les habitants se remémoraient ensemble les souvenirs datant de plus de vingt ans. Malgré les sourires francs, une pointe de nostalgie et de tristesse se lisait dans chacun d'eux. Mais les habitants du quartier Central ne se laissaient pas abattre pour longtemps. Le Trente Octobre était une tradition, mais c'était aussi un prétexte de revanche face au gouvernement. La musique était de sortie : Monsieur Bob avait ressorti sa vieille platine tandis que certains hommes des champs jouaient des cuivres dans un coin de la place. De l'autre côté, les femmes et les enfants faisaient passer des gourmandises pour que chacun puisse manger à sa faim, rien qu'une journée dans l'an.

Tout était beau. Tout était sincère. Rien n'était surfait.

Cependant, les habitants savaient que rien n'était éternel...

***

La première chose que vit le duo d'amies, fut le rassemblement de pauvres, toujours reconnaissables malgré leurs tenues élégantes. De son œil expert, Nora pouvait voir que ces vêtements n'étaient pas faits sur mesure. Les robes étaient trop longues, les chemises trop lâches et les vestes trop grandes. On pouvait percevoir la gêne qu'éprouvaient les démunis à porter ces costumes, comme s'ils ne les méritaient pas.

Cette foule, concentrée sur la place centrale, n'avait d'yeux que pour les immenses téléviseurs qu'avaient installés le gouvernement pour l'occasion. Chaque écran surplombait pas moins de trois maisons mitoyennes si bien que la luminosité extérieure restait filtrée. Toute la place était cernée, entourée par ces engins, bien trop futuristes pour les habitants du quartier, si bien que ces derniers ne pouvaient manquer, en aucun cas, les informations qui défilaient au fur et à mesure de la journée.

D'ordinaire, ils étaient mis à disposition, auprès du « bas peuple », chaque trente octobre, pour suivre l'actualité de l'île. Ce prétexte n'était là que pour cacher la frustration de Carter Rosenbach. S'il avait décidé de mettre en place ces écrans, ce n'était pas pour être aimable avec les nécessiteux et leur offrir une unique chance annuelle de s'enrichir l'esprit. Non ! Si Carter Rosenbach avait fait installer des téléviseurs géants, c'était pour pouvoir véhiculer ses messages de propagande auprès du quartier Central afin de minimiser les débordements, le seul jour où les habitants de ce quartier pouvaient se sentir libre. C'était de l'embrigadement et non de la charité.

Carter Rosenbach avait peur du Trente Octobre. Chaque année, il devait frissonner à l'approche de ce jour. Cet homme ne supporterait pas que les habitants du centre puissent penser, rien qu'une seule seconde, qu'ils pourraient acquérir le pouvoir grâce à une unique journée de liberté.

Le gouverneur avait bien essayé, à de multiples reprises, d'éradiquer cette tradition automnale mais s'il voulait contrôler son peuple, il se devait de leur laisser quelques privilèges pour les rendre plus dociles. Cruelle ? Sa méthode l'était. Et il en était fier.

A cette distance, il était difficile pour Nora et Emy d'analyser les expressions qu'arboraient leurs concitoyens mais elles les devinaient. De la surprise, de l'incompréhension, de la stupeur, de la joie, mais aussi de la colère.

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