Chapitre 18

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Stephen avait franchi la porte deux minutes auparavant tout au plus, et Nora dégustait déjà les premières bouchées de ragout de légumes tiède que son allié lui avait apporté.

La veille au soir, Stephen lui avait expliqué qu'il serait plus difficile pour lui de venir la voir et elle avait accepté cela car c'était pour échafauder un plan pour le bien de ses compatriotes. Pour le bien de l'île. Pourtant, même avec cet avertissement, Nora ne s'était pas attendue à ce que Stephen vienne aussi tard – il était presque deux heures du matin selon les dires du gardien – si bien que son estomac lui faisait mal à force de crier famine.

— J'ai des nouvelles des bombardements d'hier soir, informa Stephen.

Il était en train de transvaser de l'eau dans le seau de Nora lorsqu'elle poussa un couinement entre deux bouchées.

— Alors ? s'exclama-t-elle, tandis qu'elle s'essuyait la bouche.

— Ils ont principalement bombardé la façade Sud-Ouest du volcan, pour apeurer les habitants, expliqua-t-il calmement.

Il venait de finir de remplir le seau et vint s'installer face à Nora, à même le sol.

— Principalement ? répéta Nora qui avait tiqué sur ce détail.

Stephen afficha alors une mine sombre qui ne rassura guère Nora.

— Où ? questionna-t-elle véhémente.

Tête baissée, Stephen n'osait pas la regarder dans les yeux pour lui dire la vérité.

— Où, Stephen ? insista la jeune rebelle. Qu'ont-ils bombardé hormis le volcan ?

— Ils ont lâché une plus petite bombe sur le puits de votre place centrale, avoua Stephen, mal à l'aise en se mordant la lèvre inférieure.

Nora laissa tomber ses couverts des mains qui vinrent se planter dans la terre molle et humide.

— Non, non, non, non... C'est impossible !

Le regard fixé dans le vide, Nora semblait être entrée dans un état de transe. Ses pupilles étaient dilatées. Des sueurs froides dégoulinaient de ses tempes. Ses mains étaient paralysées. Si Stephen ne sentait pas son souffle saccadé s'accélérer, il aurait pu croire que son alliée avait été pétrifiée.

— Non, non, non, non... répétait inlassablement Nora.

Stephen souhaitait la faire sortir de son état second le plus rapidement possible. Il avait besoin d'un bras droit stable et sain d'esprit. Il aurait aimé la secouer, voire la frapper, si cela l'aidait à reprendre contenance. Mais il se l'interdit. Il n'avait en aucun cas l'intention de violenter une femme. Alors, il restait là, à la fixer obstinément dans l'attente, dans l'espoir d'un changement de comportement favorable à sa situation. Alors qu'il l'observait, il prit le temps de s'arrêter sur chaque détail du visage de Nora. Tout d'abord, ce furent ses joues creuses qui lui sautèrent aux yeux avant qu'il ne détourne légèrement le regard vers d'énormes cernes violacés bien trop foncés et en total désaccord avec son teint blanc et blafard. Un coup d'œil plus bas lui permit de voir ses fines lèvres abîmées par le froid... Un coup violent dans la poitrine vint le secouer et, l'instant d'après, Stephen était envahi par la culpabilité. Nora n'avait pas demandé à rester enfermée, à l'abri de la vie active, dans une cabane non isolée. Elle n'avait pas non plus demandé à être arrachée à sa famille et à se faire passer pour morte. Elle n'avait pas...

— Ils doivent être anéantis, murmura Nora sortant progressivement de sa transe. Les pauvres, ils doivent être anéantis d'avoir perdu le puits.

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