Nora s'était levée plus tôt ce jour-là. Cela faisait plusieurs jours que son père n'allait plus au travail. Son état avait empiré, si bien qu'au bout de deux jours, Philip était resté à la maison, sans plus jamais en ressortir. Malgré cela, l'antidote de Monsieur Bob faisait effet, mais ses doses étaient rares et il ne pouvait pas lui en prescrire à l'infini. Le père de famille devait faire avec ce qu'on lui offrait, et malheureusement, ce n'était pas encore assez.
Philip n'était pas heureux et cela se ressentait dans son foyer. Il avait beau vouloir aider sa femme et sa fille dans n'importe quelle tâche, il en était incapable. Le père Jenkins avait toujours été quelqu'un d'actif, depuis sa tendre enfance, et rester allongé plusieurs journées d'affilées ne lui réussissait pas. Il avait besoin de voir au-delà de la maison. Il avait besoin de prendre l'air, de travailler dans les champs, de récolter, d'aider ses voisins et amis quand ils avaient un problème. Le père de Nora se sentait désormais impuissant et cela ne lui convenait absolument pas.
Allongé dans son lit, la porte entre-ouverte, l'homme de la maison vit sa fille descendre les escaliers et partir au travail, une heure plus tôt qu'à son habitude. Il appréciait le dévouement de son unique enfant mais il s'en voulait de lui faire endurer cela, elle avait déjà des journées assez chargées. Seulement, Nora était quelqu'un de têtu, et Monsieur Jenkins savait qu'elle tenait ce trait de caractère de son épouse, ça aurait même pu le faire rire si la situation n'avait pas été aussi difficile à vivre. Sa fille avait décidé d'aller travailler plus tôt, de revenir plus tard ainsi que de raccourcir sa pause du midi. Il était fière d'elle mais il se sentait coupable de lui faire faire autant de sacrifices.
A son âge, Nora devrait profiter de la vie, s'amuser le soir en sortant du travail, revenir en douce, tard dans la nuit, être insouciante. Quand Philip avait la vingtaine, il s'éclatait et même si le travail lui prenait beaucoup de temps, il profitait de sa jeunesse. Malheureusement, le Fortunéum a pris place au gouvernement et tout a basculé. Profiter de sa jeunesse était devenu une interdiction pour les habitants du quartier Central. C'était devenu un luxe et Nora ne pouvait pas se le permettre.
Le père de Nora soupira. Il n'aimait pas ce nouveau gouvernement dans lequel sa fille avait grandi. Il détestait toutes ces différences qui faisaient d'eux des pauvres, des parias. Mais, plus que tout, il haïssait la façon dont le quartier sombrait dans les ténèbres. Ce n'était pas ce qu'il avait souhaité pour Nora. Pour rien au monde, il n'aurait voulu qu'elle vive ainsi. Elle avait le droit à la belle vie mais il était incapable de la lui offrir.
— Bonne journée, ma Puce, hurla Philip du plus fort qu'il pouvait pour que sa fille puisse l'entendre.
Pour seule réponse, il entendit la porte d'entrée claquer.
***
Nora courait à travers les rues étroites de son quartier. Pour atteindre son lieu de travail, elle devait passer devant un des quartiers riches, le quartier Est et ce jour-là, elle se surprit à s'arrêter et à admirer la vue.
La jeune Jenkins pouvait distinguer la silhouette du volcan de l'île, dans la pénombre matinale. Elle pouvait aussi apercevoir de grandes tours et des hautes bâtisses éclairées par des lumières de toutes les couleurs. On comprenait facilement que ces immeubles et demeures étaient bien entretenus, sécurisés et surtout solides. Elle voyait aussi des rues larges, pavées et propres dans lesquelles on souhaitait se promener. Nora se mit à rêvasser un instant à la vie qu'elle aurait pu avoir si elle était née dans ce quartier.
Elle secoua vivement la tête pour faire taire ses pensées et accéléra le pas afin d'arriver à l'heure au travail. Ce jour-là, Nora était déterminée, elle allait faire plus d'heures de travail pour que le lendemain, elle puisse s'éclipser durant sa pause déjeuner. Elle avait quelque chose d'urgent à gérer.

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UnFortunéum
Science FictionCarter Rosenbach prit le pouvoir de Baltivia 20 ans auparavant. Il créa alors le Fortunéum : gouvernement oppressant où les pauvres sont exploités et encerclés par les riches. Depuis cette époque, l'inégalité règne sur l'île et personne n'ose trouve...