Chapitre 2

308 39 89
                                    


La poussière qui envahissait les fenêtres filtrait la lumière de la Lune. La nuit avait été courte pour Nora. Son sommeil fut troublé par la tempête qui avait continué de sévir une bonne partie de la nuit, mais pas seulement. La vue du carton intact qui trônait dans un espace plus calfeutré du sous-sol de ses voisins – qu'elle pouvait considérer comme le sien désormais – avait hanté la plupart de ses pensées. Son plan était encore instable et elle avait besoin de l'aide d'Emy, mais si elle arrivait à la convaincre, peut-être réussirait-elle à faire bouger les choses.

La jeune femme réfléchissait au discours qu'elle allait devoir préparer pour réussir à embrigader sa meilleure amie dans son plan, aussi farfelu et dangereux soit-il. Elle la voyait le soir, après leur journée de travail respective et elle espérait trouver la bonne formulation d'ici là.

Pour le moment, Nora serrait les dents. Et pour cause, l'eau glaciale s'écoulait sur son corps afin de la rincer d'une nuit agitée à trembler à chaque claquement de volet ou de branche arrachée.

La pièce d'eau était rudimentaire chez les Jenkins – comme dans toutes les habitations du secteur. Elle se résumait en un robinet d'eau froide dont les joints manquaient de lâcher ainsi que d'une énorme bassine en bois, pouvant contenir une personne assise, qui servait de douche.

Nora était assise dans cette dernière depuis quelques minutes seulement mais elle n'avait pas l'intention de s'y éterniser. Ses parents avaient pris leur douche avant elle et, pour raison économique, elle devait utiliser la même eau, ce qui rendait ce moment moins appréciable qu'il n'en avait l'air. Surtout que, dans cette bassine que l'on pouvait rebaptiser « baignoire », il était impossible de poser sa tête et d'allonger ses jambes pour se détendre. Tout plaisir, minime soit-il avait été proscrit depuis l'arrivée au pouvoir du Fortunéum.

Un soupir d'agacement s'échappa de sa bouche avant qu'elle ne plonge sa tête sous l'eau, légèrement teintée. Elle resta quelques secondes en immersion dans le liquide avant de ressortir sa tête d'un coup sec tout en respirant plus fortement. Elle avait espéré que, pendant ce laps de temps, le soleil se serait levé, que les dégâts de la veille n'aient été qu'un rêve et que l'oppression du gouvernement ne serait qu'un vilain cauchemar. Malheureusement cet espoir disparut quand la réalité de la vie lui fit face. A travers la fenêtre, elle arrivait à apercevoir les toits des maisons voisines, dépourvus de tuiles. Nora eut même un haut-le-cœur quand elle vit la charpente d'une maison effondrée suite à l'attaque de plusieurs branches d'arbre ayant fini leur malheureuse trajectoire dans la toiture.

Une larme coula sur chaque joue de la jeune Jenkins. Elle les essuya violemment du revers de la main et se leva subitement de sa bassine. L'heure du bain était terminée, il était temps d'aller travailler.

Une fois sortie de la « salle de bain » Nora descendit les escaliers menant à la pièce de vie. Chaque marche était imprégnée d'humidité si bien qu'elle crut tomber en arrivant en bas tellement le bois était fragile et menaçait de céder.

De là où elle se trouvait, Nora entendit la porte d'entrée s'ouvrir puis se refermer et elle vit sa mère s'y précipiter.

— Alors Philip ? demanda-t-elle alors que sa fille percevait de l'appréhension dans sa voix.

— Tous les hommes des récoltes sont mis à contribution pour nettoyer le quartier et réparer les toitures cassées, répondit-il d'une voix lasse comme s'il venait de répéter le discours qu'on venait de lui sermonner. Bien sûr, on n'a le droit à aucune aide du gouvernement et ils déduisent cette journée de nos heures de travail, donc pas de salaire ce soir.

La colère était perceptible dans la voix de l'homme de la famille Jenkins. Depuis plus de vingt-cinq ans, le quarantenaire se tuait à la tâche dans les champs pour pouvoir payer sa croûte et subvenir aux besoins de sa femme et de sa fille. Malgré les problèmes de santé que cela lui causait, il continuait à travailler dur, voire même plus dur au fil des années. Et tout cela pour quoi ? Pour apprendre qu'on lui supprimait une journée de salaire à cause d'une tempête ? La rage se ressentait sur son visage mais il fit profil bas. Si son sentiment de haine se ressentait auprès des autres – outre les membres de sa famille ainsi qu'Emy et Monsieur Bob – il pouvait dire adieu à la vie.

UnFortunéumOù les histoires vivent. Découvrez maintenant