Mon sommeil avait été court et très agité. Je revoyais sans cesse les images de ces deux dernières nuits, de son visage déformé par l'envie et le sadisme, de ses mains crasseuses parcourant mon corps frêle, de son sang sur la lame qui m'avait sauvé la vie. Je ne pouvais empêcher la culpabilité de me ronger. Pourtant, cet homme méritait la mort, selon moi. Mais qui étais-je au juste pour oser décider de la vie ou de la mort d'une personne ?
C'était un être humain avant tout, tout comme moi. Certes, il semblait que toute trace d'humanité l'aie quitté, mais ça n'en restait pas moins un homme. Avec des désirs mauvais, mais qui caractérisaient son existence. Etais-je un monstre ? Ne valais-je donc pas mieux que lui ? Je méritais peut-être tout autant de mourir.
Personne n'avait à juger de la légitimité de l'existence d'un être. Il vivait, voilà tout. Il en avait été décidé ainsi, ou peut-être pas d'ailleurs, mais il était là à présent. Et nous devions le respect à sa vie. Il était si simple de la lui ôter, mais était-ce une raison pour le faire ? Il avait le droit de vivre comme n'importe qui.
Je secouai brusquement la tête, les sourcils froncés, les lèvres serrées et les phalanges blanches de la pression que je leur imposais. Il était mauvais. C'était un ivrogne, un violeur, qui ne faisait même plus attention à son apparence tant ses désirs fiévreux empiétaient sur sa misérable vie. J'avais débarrassé le monde d'une sacrée plaie.
C'était ce que je tâchais d'imprimer dans mon esprit tourmenté lorsque les premiers rayons du soleil pointèrent leur nez dans un ciel sans nuages. Je soupirai en me dressant sur mes coudes, tâchant d'éloigner ces pensées sordides de ma tête. Une nouvelle journée s'offrait à moi, comme un nouveau souffle. Mais le plus dur restait à venir pour clore cette sale affaire.
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Des cris commencèrent à fuser depuis le début du convoi. Le corps avait été découvert. Mais je savais que je n'avais pas trop à m'inquiéter. Mon meurtre avait été fait proprement et sans bavure. On croirait à un arrêt cardiaque dû à la quantité d'alcool de cet homme ingurgitait. Je n'avais plus aucune idée de la façon dont j'avais appris cela, mais le point que l'on puisse dire, c'est que ça m'avait été utile.
J'avais tué un homme. J'étais officiellement devenue une meurtrière. Et plus j'y pensais, moins je ressentais de dégoût vis à vis de mon acte. J'en ressentais même une certaine fierté. Je m'étais vengée de l'affront que m'avais fait cet homme de l'une des pires manières qu'il soit. Quoique, il n'avait pas souffert. J'aurais pu rendre son châtiment plus horrible encore. Mais à présent, il était hors d'état de nuire.
L'équipage ne fit pas grand cas de cette mort. On jeta son corps dans le sable d'une dune, et sans plus de cérémonie pour cet enterrement sommaire, on reprit notre chemin. Cela ferait une bouche en moins à nourrir, et plus d'alcool pour les soirées autour du feu. La place qu'occupait l'homme dans le convoi n'était pas d'une grande importance apparemment. Je n'appris jamais son nom, et c'était certainement mieux ainsi. Il me hantait assez comme ça sans que je mette des syllabes sur ce visage.
« _ Qu'est-ce qui t'a amenée ici, Esi ? me questionna de but en blanc Imane, me sortant par la même occasion d'une énième rêverie solitaire.
_ La guerre, mentis-je alors à moitié.
_ Je vois. C'est compréhensible, conclut-elle simplement. »
Ma réponse n'était qu'un demi-mensonge, mais j'étais soulagée qu'elle ne cherche pas à en savoir plus. Nous étions au début de l'année 2012, un coup d'état venait d'éclater. Certains groupes d'habitants souhaitaient que le Mali soit divisé en deux hémisphères : nord, et sud. La situation était donc relativement tendue, surtout dans la capitale, Bamako, dont j'étais originaire. Il semblait donc logique que j'aie fui toute cette agitation afin de me réfugier dans un pays plus calme.
Imane ne me posa plus jamais de questions. Elle n'était pas très bavarde, et la réponse que je lui avait fournie avait semblé lui convenir. Ce n'était pas plus mal. Je ne souhaitais pas mettre des personnes au courant de la véritable raison de mon long voyage. Car certes, une fille aussi jeune que moi s'attaquant à la traversée du Sahara, seule, était légèrement suspect. Je m'appliquais donc à ne laisser aucune faille dans l'image que je renvoyais aux autres membres du convoi.
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Durant les jours suivants, aucun événement ne vint troubler notre voyage. Une tranquille routine s'était installée dans mon travail, et bien que les remarques des hommes quant à mon physique ne cessaient pas pour autant, aucun n'avait tenté de me toucher à son tour. Je soupçonnais le fait que certains aient deviné ce qu'il s'était réellement passé, je m'attelais donc à rester vigilante.
Je connaissais les risques si l'on découvrait une telle trahison de ma part. Je serais évidemment éjectée du convoi, mais pas forcément en très bon état. Je savais ces hommes parfois armés et parfaitement capables de céder à la violence. Un meurtrier ne serait pas très bien vu au sein de leur équipe. Logique, me diriez-vous.
En y repensant, je ne savais toujours pas quel type de cargaison nous transportions ainsi. Je savais simplement de nous prenions la direction du Soudan, et que certains chariots contenaient de nombreuses caisses en bois sans plus d'indications. Je n'avais pas vraiment cherché à en savoir plus, ce n'étaient pas mes affaires. Je devais me contenter de la chance que j'avais d'avoir embarqué avec eux.
Cependant, je n'allais pas tarder à en apprendre même plus que je ne l'aurais souhaité. Alors que j'étais tranquillement assise à ma place, en train d'éplucher des légumes pour le soir même, des hurlements retentirent au loin. Leur écho se rapprocha de plus en plus, signe que leur provenance était non-loin de notre caravane.
Puis je les vis. Un groupe d'hommes armés jusqu'aux dents, encapuchonnés dans de nombreux vêtements étonnamment sombres étant donné la chaleur qui régnait en ce milieu de journée. Ils fonçaient vers nous, l'air féroce et déterminé. Ils allaient nous massacrer. Les pilleurs de marchandises n'étaient pas rares dans le désert, je n'étais donc pas foncièrement étonnée.
Cependant, leurs tenues attiraient mon attention. Elles ne ressemblaient en aucun cas aux tenues habituelles des peuples du sable. Et ils n'avaient absolument pas l'air d'une famille de voleurs. Je n'eus pas l'occasion de m'interroger plus à leur sujet, car une main ferme agrippa mon bras et me fit basculer en arrière. Mon crâne percuta quelque chose de dur, et je sombrais dans l'inconscience.
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Dunes
PertualanganVille de Bamako, au Mali. Esi quitte la ville où elle a toujours vécu pour se lancer dans la longue et difficile traversée du Sahara. Entre guerre, danger, trafics illégaux, violence, secrets, amitié et amour, parviendra-t-elle un jour à atteindre l...