XXXII - Mauvaise rencontre

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Durant les quelques heures de trajet qu'il nous restait, j'avais joué et discuté avec Abla, profitant de nos derniers moments ensemble. À présent, les formes de la ville d'Adrar se profilaient dans le paysage, et l'ambiance était devenue soudainement beaucoup plus tendue.

Pour ma part, j'appréhendais simplement le moment fatidique où j'allais devoir dire au revoir. Mais pour le reste du petit groupe, c'est une toute autre raison qui les inquiétait. Ils craignaient d'être arrêtés par une quelconque personne, considérant ce qu'ils transportaient avec eux.

Nous tentions tous de nous rassurer sans beaucoup de conviction. Mes amis risquaient gros. La tension était palpable, jusqu'à ce que je nous rejoignions finalement un petit espace un peu en dehors de la ville, où la grande famille pourrait installer son campement.

L'heure des adieux était arrivée.

Comme à mon habitude, je m'attelai à la tâche de monter les tentes et de préparer le repas, comme si je n'allais pas partir dans les minutes qui suivraient. Alors que j'achevais de planter des piquets, la mère d'Abla me rejoignit.

« _ La nuit va bientôt tomber. Je ne penses pas que tu vas repartir directement, si ?

_ Non, effectivement, répondis-je hésitante. Je pensais trouver une petite chambre ou un coin où dormir...

_ C'est ridicule, Esi. Reste une nuit de plus, tu n'es plus à ça près, sourit-elle. En plus, certains vont au bar, ce soir. Ils rencontreront peut-être quelqu'un qui part pour le Maroc, on ne sait jamais. »

Elle n'avait pas tord, et sa proposition était vraiment adorable. L'envie d'accepter me tiraillait.

« _ C'est vraiment gentil, merci beaucoup. Mais, je dois rassembler un peu d'argent et de nourriture pour repartir...

_ Que dirais-tu de vendre pour nous ? C'est risqué, certes, mais ça rapporte beaucoup d'argent. On te laisserait un bénéfice, et de quoi te nourrir. »

J'étudiai sa proposition quelques secondes. Ce ne serait pas la première fois que je ferais ça, de toutes façons. Le travail de mon père étant assez peu rémunéré, j'avais déjà aidé des dealers de mon quartier pour arrondir nos fins de mois. Pourquoi pas, après tout. J'étais gagnante dans l'histoire.

« _ Très bien, faisons ça. Merci encore. »

Elle me lança un sourire radieux, et alors qu'elle allait se retourner pour partir, sembla se souvenir soudainement de quelque chose.

« _ Oh, au fait ! Prends ça avec toi, tu peux en avoir besoin. »

Sa main se tendit vers moi avec précautions, m'offrant un petit poignard parfaitement affûté, au pommeau sculpté dans du bois verni. Je m'en saisis et la remerciai encore. Si seulement j'avais pu avoir cet objet plus tôt dans mon voyage...

~ ~ ~

Voilà presque deux heures que j'errais dans les rues les plus sombres et mal fréquentées d'Adrar pour vendre ma marchandise. Je n'avais pas eu trop de difficultés à écouler les quelques grammes que l'on m'avait confiés, mais la fatigue commençait à se faire ressentir. Il ne me restait plus grand chose à vendre, je devais tenir le coup.

Je m'engageai dans une énième ruelle, qui n'avait rien à envier à celles que j'avais pu traverser jusqu'alors. Je mis un pas devant l'autre en soupirant. Il ne fallut pas longtemps pour qu'une voix rauque m'interpelle.

« _ Eh, petite, tu vends tes services ?

_ Seulement de quoi te mettre la tête dans les étoiles, rétorquai-je.

_ Je ne veux pas de ça. Par contre, toi... »

Mon interlocuteur sortit de la pénombre. Je ne fus pas étonnée de remarquer qu'il était répugnant. Je savais à quoi m'attendre en fréquentant des coins comme celui-ci. Seulement, cette fois-ci, je ne me laisserais pas faire.

Ma main vint se poser doucement sur l'arme qui reposait dans ma poche. Il s'approchait dangereusement.

« _ N'essaie même pas. Mon corps n'est pas à vendre, grognai-je.

_ Allons, juste un petit tour... C'est moi qui vais t'emmener au ciel, ma jolie.

_ Le seul d'entre nous qui verra les nuages, ce sera toi. »

Je dégainai mon poignard d'un coup sec. La lumière de la lune le fit luire dans la pénombre. L'homme eut un mouvement de recul. Cela me fut suffisant pour tourner les talons et m'enfuir en courant. Je ne tenais pas à commettre un autre meurtre. J'avais déjà bien trop de sang sur les mains.

Tant pis pour la drogue qu'il me restait à écouler, il était devenu bien trop dangereux pour moi de continuer à traîner dans ces rues. Je courus sans m'arrêter jusqu'au campement, et ne m'arrêtai que lorsque je l'eus atteint.

Je me stoppai au milieu des tentes, les mains sur les genoux, peinant à reprendre mon souffle. Vu l'heure qu'il était, personne ne traînait dehors. C'est pourquoi je fus surprise de capter un mouvement non-loin de moi.

Je relevai la tête, alertée, et prête à détaler à nouveau ou à me battre.

« _ Eh, calme-toi, ce n'est que moi, lança la voix bien reconnaissable de Sami. »

Je poussai un soupir de soulagement.

« _ Il t'est arrivé quelque chose ? s'inquiéta-t-il en s'approchant.

_ Non, non, j'ai juste fait une mauvaise rencontre.

_ Tu n'as rien ?

_ Rien, le rassurai-je. Je sais me défendre.

_ Même, on ne peut pas toujours se défendre face à ça... »

Je levai les yeux vers lui. Un voile sombre s'était posé sur mon regard en entendant ses mots. Les souvenirs affluaient. Mes yeux se remplirent de larmes, et je reniflai pour ne pas craquer devant lui.

« _ Hey, tu es sûre que ça va ? »

Il n'était plus qu'à quelques centimètres de moi. Les images attaquaient mon esprit sans relâche, il m'était devenu impossible de me retenir. Je hoquetai, et fondis finalement en larmes en tombant dans ses bras, qu'il avait tendus juste à temps pour amortir ma chute. Je pleurais sans retenue.

« _ Ça va aller, princesse, ça va aller... Je suis là maintenant, chuchota-t-il en me caressant le dos. »

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