VIII - Etranger

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« _ Je le tiens ! lançai-je. »

J'avais entre mes mains la corde qui servait à diriger le chameau de Yeleen. Traverser le fleuve avait été facile pour nous, mais empêcher l'animal de passer sa journée à en avaler le contenu était plus compliqué. C'est ainsi que je m'étais retrouvée face à lui, tentant d'attraper son licol avant qu'il ne rebaisse la tête, Yeleen tentant désespérément de pousser sur son arrière-train pour le faire avancer. L'ensemble de la scène était plutôt drôle à voir, et nous ne pouvions empêcher un rire nerveux de s'emparer de nous.

Nous parvînmes finalement à le faire quitter son goûter pour mettre enfin les pieds sur l'autre rive, essoufflées mais souriantes. Nous étions trempées jusqu'aux genoux, mais c'était plutôt agréable compte tenu de la chaleur qui régnait. Puis, nous ne verrions plus d'eau d'ici quelques temps désormais.

« _ Bienvenue au Niger ! plaisanta Yeleen. »

J'esquissai un petit sourire gêné. Nous n'étions à présent plus qu'à quelques jours de voyage d'Agadez. J'avais hâte de découvrir cette ville, sa façon de fonctionner, mais étais en même temps effrayée de ce qui pourrait m'arriver dans un pays étranger du mien. Je manquais un peu d'expérience dans ce domaine.

« _ Ne t'inquiète pas, les voyageurs sont fréquents dans cette partie du Sahara, nous ne risquons rien, me rassura la jeune femme comme si elle avait lu dans mes pensées.

_ Nous sommes parties dans ce cas, soupirai-je. »

Et nous nous lancions courageusement dans la vaste étendue de sable qui nous faisait face.

~ ~ ~

Durant la nuit du deuxième jour de notre périple commun, une tempête de sable nous surprit de plein fouet, nous obligeant à courir avec grand peine, traînant notre animal de compagnie derrière nous, à la recherche d'une ruine ou d'une quelconque construction solide où nous abriter. Nous tombâmes finalement avec beaucoup de chance sur une ancienne ferme abandonnée et nous précipitâmes à l'intérieur.

Une fois installées plus ou moins confortablement entre plusieurs épaisses bottes de paille séchée, nous reprîmes notre souffle en pouffant. Nous mîmes encore quelques minutes à se débarrasser du gros des grains de sable qui nous avaient envahi, puis nous allumâmes un feu dans un petit foyer sommaire construit à l'aide de quelques pierres trouvées aux alentours. La paille nous protégeait de la plupart des coups de vents.

L'atmosphère qui s'était installée était propice aux longues conversations tardives. En nous partageant quelques fruits et bouts de viande séchée, nous commençâmes à parler un peu. C'est Yeleen qui se lança en première.

« _ Mes parents sont morts dans un accident de voiture il y a peu de temps. Nous étions en voyage dans ton pays, justement. Alors que nous partions pour une visite, la voiture a... »

Des larmes commencèrent à pointer aux coins de ses magnifiques yeux. Ses lèvres tremblaient et elle serrait fortement ses petits poings sur ses genoux abîmés. Je tendis une main hésitante vers son avant-bras pour lui signaler ma présence et mon soutien. Elle me remercia d'un regard triste et continua son récit.

« _ J'ai été déclarée morte également et le gouvernement n'a pas pu organiser mon rapatriement en France. Je me suis retrouvée seule au monde dans les alentours de Tombouctou. J'ai appris à me débrouiller seule, j'ai enchaîné quelques petits boulots, j'ai dû voler pas mal au début pour survivre.

_ Et tu n'as jamais été... ?

_ Violée ? Non. J'avais toujours une arme blanche sur moi. C'était relativement dissuasif. »

J'acquiesçai, un peu honteuse de n'avoir pas pu me défendre moi-même de mon côté. Ou du moins, de l'avoir fait un peu trop tard. Yeleen avait tellement d'aplomb et de courage. Je commençais à l'admirer de plus en plus au fur et à mesure. Moi qui voulais me débarrasser d'elle au départ, à présent, je ne savais pas si je pourrais me passer d'elle un jour. Mais il le faudrait.

« _ La suite, tu la connais, acheva Yeleen en me faisant brusquement revenir à la réalité. Et toi, alors ? Quelle est ton histoire ? »

Je pris une grande inspiration avant d'ouvrir la bouche et de la refermer, hésitante. Pouvais-je lui faire confiance ? Pouvais-je lui raconter ce que j'avais vécu ? Elle m'avait prise comme sa confidente. Mais pouvais-je en faire de même pour elle ? Peut-être m'avait-elle menti...

« _ Prends ça, m'ordonna-t-elle en me tendant un petit objet. »

J'observai plus attentivement ce qu'elle me tendait. Il s'agissait d'un petit bracelet, se portant à la cheville, orné de breloques diverses. Chacune semblait représenter un symbole particulier, certainement important aux yeux de sa propriétaire. Le tout resplendissait de finesse et de délicatesse. Il était très beau, bien qu'il ne semblait pas valoir très cher.

« _ Ma mère me l'avait offert un Noël, expliqua-t-elle. Chaque fois qu'elle partait en voyage (elle était souvent absente, à cause de son travail), elle me ramenait un petit pendentif à ajouter sur la chaîne. Chacun a sa signification et son utilité propre. Je te les expliquerai un jour. En attendant, prends-le. C'est une preuve de la confiance que je te porte et du fait que je ne te quitterai jamais. »

Agréablement surprise, j'acceptai son présent sans broncher. Je voulais des preuves, j'étais servie. Je lui souris doucement, très touchée par son geste. Ce bracelet semblait avoir tant de valeur à ses yeux. En l'observant rapidement avant de l'accrocher à ma cheville, je pus reconnaître une représentation de l'œil du faucon Horus, dieu égyptien et signe de protection. J'aperçus également une copie du ohm, signe hindouiste signifiant l'équilibre entre le corps, la vie et l'esprit.

Je stoppai là mon observation et relevai la tête vers la jeune fille qui venait de s'ouvrir à moi. Des larmes sillonnaient ses joues rebondies et tachetées. Je la regardais avec tendresse et tristesse et ne pus résister cette fois à l'envie de la prendre dans mes bras. Je la laissais déverser tout ce que pouvait contenir son corps d'eau salée sur mon épaule, lui caressant maladroitement le dos.

J'avais gagné une amie.

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