XXV - Gazelles

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Les deux femmes que je venais de rejoindre s'appelaient respectivement Aïcha et Ines. Elles étaient toutes les deux plus âgées que moi de plusieurs années.

Aïcha était brune, tout comme moi. Mais elle me dépassait largement d'une tête et possédait des yeux beaucoup plus clairs que les miens. Elle était très calme et réfléchie, et possédait un charme indéniable. On pouvait deviner à sa voix assurée qu'elle ne parlait jamais sans avoir réfléchi au préalable.

Ines était son opposé. Elle faisait approximativement ma taille, mais arborait de courts cheveux blonds tirant vers le châtain clair. Ses yeux noisette pétillaient de malice, et c'était une vraie bout-en-train. C'était elle qui m'avait adressé ce sourire éclatant lors de mon arrivée. Elle n'en était pas bête pour autant, et les deux femmes formaient une équipe très efficace et complémentaire.

Mes nouvelles compagnes de voyage étaient venues tout droit de France, mais la belle brune étant originaire d'Algérie avait tenu à passer par Tamanrasset avant de rejoindre la ville de départ du rallye. Cela leur faisait un bon entraînement avant le début de la course.

Inaya les avait croisées sur le marché quelques jours auparavant, et était parvenue au détour d'une conversation à leur donner l'idée que voyager avec moi leur serait tout à fait utile. Voilà comment je m'étais retrouvée dans ce véhicule en compagnie de ces deux aventurières.

« _ Au fait, pourquoi te rends-tu au Maroc ? me questionna Ines, penchée sur une carte du désert.

_ Pour trouver du travail dans le tourisme, mentis-je à moitié.

_ Oh, je vois. Tu es bien courageuse, mais tu ne devrais pas avoir trop de mal à trouver ! »

Et elle repiqua du nez dans ce pauvre bout de papier déchiré par le temps et l'utilisation qu'on en faisait. Je tournai la tête vers Aïcha, concentrée sur la route qu'elle était en train de suivre. Sentant que je l'observais, elle me lança un bref regard accompagné d'un petit sourire, avant de recommencer à m'ignorer. Pour faire la conversation, je repasserais.

Je croisai donc les bras et me renfrognai dans mon siège, fixant un point invisible en face de moi. J'avais appris à m'habituer aux ballottements que subissait le véhicule dans les dunes, bien qu'il devait être assez drôle d'un point de vue extérieur de me voir manquer de m'écraser sur le pare-brise au moindre sursaut.

La nuit commençait à tomber, cela signifiait que nous nous arrêterions bientôt pour camper et que j'allais commencer à entrer en jeu. Elles se chargeaient du voyage et de tout ce qu'il impliquait, je me chargeais de la nourriture et des tentes. Nous nous étions accordées ainsi dès le départ, et cela me convenait parfaitement, bien que j'aurais pu aider à l'orientation également. Je leur laissais le loisir de s'entraîner, elles me laissaient le droit de m'occuper un minimum.

~ ~ ~

« _ Mon dieu, Esi, c'est délicieux, gémit la petite blonde en engouffrant le contenu de la popote dans sa bouche.

_ Je vais prendre ça pour un compliment, ris-je.

_ C'en était un ! s'offusqua-t-elle.

_ Tu pourrais manger n'importe quoi tant tu es affamée à la fin de la journée, contre-attaquai-je.

_ Oui, tu n'as pas tort, fit-elle en haussant les épaules avant de recommencer à se goinfrer. »

Aïcha observait paisiblement notre échange en savourant elle aussi son repas. Elle ne m'avait fait aucune remarque, mais mon travail semblait lui convenir. J'avais pris l'habitude de préparer à manger à mes frères et sœurs quelles que soient les conditions dans lesquelles nous vivions, aussi, c'était une tâche aisée pour moi d'occuper ce poste.

Ma portion terminée, je nettoyai sommairement mon écuelle à l'aide du sable qui m'entourait et me levai pour aller ranger ce que j'avais utilisé et monter les tentes pour la nuit. Initialement, les filles n'avaient prévu que deux tentes ; une pour chacune d'elles. Mais elles avaient accepté de dormir ensemble pour ne pas laisser dehors.

Cela ne m'aurait pas dérangé de rester à la belle étoile, ou encore de dormir dans le quatre-quatre que nous possédions, mais elles avaient insisté. J'avais donc baissé les bras et accepté leur offre. Les premiers soirs, il m'avait fallu de longues minutes pour mettre sur pied ces engins, et elles m'étaient plusieurs fois venues en aide. Mais à présent, la tâche était réalisée en quelques instants et je pouvais les rejoindre auprès du feu.

~ ~ ~

« _ Je suis le chef de vingt-cinq soldats, j'ai traversé le Sahara trois fois, et sans moi, Paris serait pris. Qui suis-je ? »

J'observais Ines avec amusement, tentant vainement de trouver une réponse à l'énigme qu'elle venait de me poser au coin du feu. J'avais beau me creuser les méninges, la fatigue aidant, je ne trouvais rien.

« _ Je n'en ai pas la moindre idée, capitulai-je.

_ La lettre ''a'', bien sûr ! Esi, tout de même, me gronda-t-elle faussement outrée. »

Je lui lançai un regard d'incompréhension, et elle soupira avant de se lancer dans l'explication de sa saleté de réponse.

« _ Le ''a'' est la première lettre de l'alphabet qui comporte vingt-cinq autres caractères, il est présent trois fois dans le mot ''Sahara'', et si on l'enlève à ''Paris'', ça donne ''pris'', souffla-t-elle.

_ Aaah, opinai-je.

_ Oui, c'est le cas de le dire, rit-elle avant de se lever. Bon, bonne nuit Esi. À demain ! »

Je la saluais également avant de me diriger vers ma propre tente, le sourire aux lèvres. Cette fille avait vraiment la joie de vivre, cela me faisait chaud au cœur. Aïcha était partie se coucher un peu avant nous. De toutes façons, elle n'était pas très loquace. Je m'engouffrais dans mon petit abri de toile et tentai de m'endormir.

Seulement, les murmures des deux femmes non-loin de moi me maintenaient éveillée. J'attendis patiemment qu'elles se taisent, et cela ne tarda pas. Je m'apprêtais à fermer les yeux lorsque de faibles gémissements, augmentant au fur et à mesure, me parvinrent.

Intriguée, je relevai la tête, fronçant un sourcil. Je me concentrai plus fortement sur le bruit pour en deviner la provenance. Mes yeux s'écarquillèrent lorsque je compris que mes compagnes étaient tout simplement en train de satisfaire leurs besoins les plus intimes. Je soupirai lourdement et me laissais retomber sur mon oreiller improvisé (mon sac, en l'occurrence).

La nuit allait être longue. Je n'étais pas prête de m'endormir, leurs affaires ayant réveillé en moi de tristes souvenirs. Elle me manquait tellement. Aurais-je finalement dû attendre son réveil pour repartir ? Non, j'avais pris la bonne décision. Mais elle était tellement douloureuse. Je m'endormis finalement, secouée par les sanglots.

DunesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant