V - Envole-moi

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Mes paupières papillonnèrent quelques instants avant de se stabiliser et de permettre à mes yeux de sonder ce qui m'entourait. Je me réveillais lentement de mon inconscience, encore un peu trop assommée par le coup que j'avais reçu pour chercher à comprendre ce qu'il m'arrivait. Mon corps entier n'était que souffrance.

C'était à se demander ce que j'avais pu encore bien faire pour me retrouver dans cet état-là. J'étais très faible, j'avais la bouche pâteuse, chacun de mes membres était engourdi et mon ventre semblait ne pas avoir apprécié les dernières heures que je lui avais fait subir. Il m'était impossible de réfléchir correctement, je ne pouvais aller plus loin que ces vagues constatations.

Mon esprit sembla cependant se décider à fonctionner un peu, et je pu enfin remarquer que j'étais allongée à même un sol dur et froid comme la pierre. Rectification, c'était de la pierre. Je ne pouvais pas encore distinguer son étendue ni s'il y avait des murs ou pas, mais une chose était sûre : je n'étais plus dans le convoi.

Cette réalité me fit soudainement paniquer et je tentai de me relever. Je ne parvins qu'à me dresser sur les coudes, mais cela me fut suffisant pour comprendre que j'étais enfermée dans une petite pièce sombre, seule. La peur s'emparait de plus en plus de moi. Que s'était-il passé ?

Je fouillais désespérément mon cerveau à la recherche de souvenirs qui m'expliqueraient ce que je pouvais bien faire ici. Tout me revenait petit à petit. Le chariot. La cuisine. Les cris. L'attaque. Le coup. Puis le trou noir. Une évidence s'imposa à moi : j'avais été enlevée, et possiblement droguée. Maintenant, de nouvelles questions s'accumulaient : où étais-je ? Qui étaient ces hommes ? Pourquoi m'avaient-ils enlevée ? Et surtout... Qu'allaient-ils me faire ?

Je me redressai, me trouvant cette fois assise sur le sol inconfortable. La pièce était totalement vide. Une seule et unique meurtrière éclairait faiblement l'endroit. Tout était fait d'une pierre d'un gris morne. Je dus plisser les yeux pour remarquer la porte en bois sombre et abîmé se tenant dans mon dos. Inutile de tenter de l'ouvrir, n'est-ce pas ? Quoique, l'espoir faisait vivre. Déjà aurait-il fallu que je tienne debout.

« _ Aller, Esi, bouge ton gros cul bordel, m'apostrophai-je moi-même. »

Je plaquai mes mains au sol afin de pousser sur celles-ci et de relever le reste de mon corps. Mes jambes plièrent avec difficulté, et je me serais lamentablement étalée sur le sol si je ne m'étais pas retenue au mur le plus proche. C'est donc en m'en servant de béquille que je me traînais jusqu'à la sortie.

Ce fut un tout autre combat de tendre la main vers la poignée. Je tremblais, ma vue était floue. Je dû m'y reprendre à plusieurs fois pour enfin sentir le bois sous ma paume et tenter d'actionner le mécanisme. Le peu de forces que j'avais m'obligea à attendre de longues secondes avant d'entendre le bruit tant attendu de le fermeture se déverrouillant.

La porte était ouverte. Je poussai doucement le battant, m'attendant à tout ce qui serait susceptible de m'arriver au dehors de cette salle confinée. Du sable. Et d'autres bâtiments, faits de la même pierre que celle qui m'enfermais peu de temps auparavant. Un ou deux hommes passèrent non-loin, l'endroit était donc peuplé, voire surveillé.

Je ne savais pas quoi faire. Sortir, et essayer de partir le plus vite possible d'ici ? Je ne savais même pas où j'étais et dans quelle direction je devais me diriger. Mais je ne savais pas non-plus de quoi étaient capable les hommes qui m'avaient enlevée. Retourner dans ce qui me servait de cellule, et attendre patiemment que l'on vienne me chercher ? C'était du suicide.

J'optais donc pour une solution intermédiaire : j'attendrais sagement dans mon cachot que la nuit tombe, et je m'enfuirais. Si j'y parvenais. Mais il fallait tenter le coup. Je refermai donc doucement la porte, retournai m'allonger à même le sol et tentais de me rendormir un peu avant mon départ.

~ ~ ~

Un grincement sourd. Une vague de lumière. Une bouffée de chaleur étouffante. Des pas feutrés. Une respiration irrégulière. Quelqu'un venait de rentrer dans la pièce. J'ouvrai les yeux et sautai sur mes pieds dans un même mouvement. Le mur m'évita encore une fois une gamelle lamentable. Je reportai mon attention sur le nouvel arrivant.

Je ne vis tout d'abord qu'une silhouette emmaillotée dans des vêtements sombres très larges. Puis, ma vue s'habitua à la lumière beaucoup plus vive et je pus constater que la personne qui me faisait face n'était pas très grande, elle me dépassait à peine. Son visage et ses cheveux étaient dissimulés par un large chèche bleu nuit.

« _ Vite, réveille-toi, m'ordonna une voix féminine à ma grande surprise. Nous n'avons pas beaucoup de temps, ils vont se douter de quelque chose. Suis-moi ! »

Mon interlocutrice se saisit de mon bras sans me laisser le temps d'aligner le moindre mot et me tira au-dehors. Je n'eus pas le temps de m'acclimater à la luminosité nouvelle, qu'elle me traînait déjà entre les différents baraquements. Elle avançait avec empressement, ne desserrant pour rien au monde la prise qu'elle exerçait sur mon bras. Elle saluait quelques hommes sur son chemin sans prendre la peine de ralentir.

Nous parvînmes bientôt à la sortie du petit village (si on pouvait le qualifier comme tel). Un chameau nous y attendait, visiblement. Elle me hissa sans ménagement sur l'une de ses bosses, et grimpa sur l'autre avec agilité. En un claquement de langue, nous nous éloignions déjà de ce qui m'avait servi de prison.

Au bout de quelques minutes, certainement plus, elle se retourna enfin vers moi. Son chèche s'affaissa sur ses épaules, dévoilant une flamboyante chevelure châtain clair plutôt lisse et d'adorables taches de rousseur sur ses pommettes. Elle m'adressa un sourire aussi lumineux que ses beaux yeux sombres, et me lança dans un grand sourire :

« _ Moi, c'est Yeleen. Enchantée, Esi. »

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Média : village

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