XII - Fuite

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Affalées derrière un petit muret ayant autrefois bordé une sorte de jardin, Yeleen et moi-même reprenions difficilement notre souffle. J'avais cessé de calculer le temps que nous avions mis à semer nos poursuivants au bout d'une heure de course effrénée. J'étais moi-même étonnée par l'endurance dont j'avais fait preuve. Heureusement que je n'étais pas fumeuse.

Nous étions donc arrivées au niveau de ce qu'il restait d'un ancien village du désert. L'absence d'eau avait eu raison de son habitation, visiblement. Nous semblions être en sécurité, pour le moment du moins. De toutes façons, nous n'avions pas d'autre choix que celui de nous arrêter quelques temps, au risque de nous effondrer dans le sable.

Notre chargement avait un peu souffert de notre course folle. Nous n'avions pas vraiment eu le temps de bien sangler le tout, aussi, quelques bidons d'eau avaient fui et une ou deux couvertures étaient tombées à terre. Tant pis, il ne restait plus qu'à espérer que ces traces ne permettent pas à nos ennemis de nous retrouver. Cependant, une question persistait à me tarauder l'esprit.

« _ Yeleen... Pourquoi ces hommes étaient à notre poursuite ? »

La jeune femme soupira, consternée. Visiblement, il s'agissait de quelque chose qu'elle ne tenait pas spécialement à me dire. Mais je l'avais mise au pied du mur, elle ne pouvait plus me le cacher. Elle avait tout de même risqué ma vie en même temps que la sienne. Elle me devait au moins la vérité.

« _ Je les ai volé, avoua-t-elle.

_ Bon sang, mais t'es suicidaire ou quoi ? Et qu'est-ce que tu leur a volé de si important pour qu'ils t'en veuillent à mort ?

_ Deux kilogrammes de cocaïne, lâcha-t-elle. »

Là, je restai sur le cul. J'ouvrai la bouche, la refermai, incapable de prononcer un mot. Cette fille était cinglée. Et comment avait-elle pu se procurer ça aussi facilement qu'elle semblait le dire ? Mes pensées se bousculaient, et je ne tardai pas à exploser.

« _ Mais bordel, t'es complètement conne ma parole ! Pourquoi t'es allée leur piquer ça ?!

_ La cocaïne se revend très cher au gramme, en Europe, expliqua-t-elle gênée. »

Je me frappais le front violemment, regrettant aussitôt ce geste qui me provoqua un petit gémissement de douleur. Bravo, Esi, maintenant, tu vas avoir une magnifique marque rouge sur le haut du visage.

« _ Et tu comptais me le dire quand ?

_ Je ne pensais pas qu'ils me retrouveraient, gémit-elle.

_ Ce genre de personnes est complètement taré, tu prends vraiment tes rêves pour la réalité, grognai-je.

_ Je suis désolée... »

Je soupirai lourdement, résignée. De toutes façons, il était trop tard à présent pour reculer. Ils m'avaient aperçue avec elle, j'étais donc devenue leur cible tout autant que la jolie châtain qui m'accompagnait. Il ne restait plus qu'à tenter de ne pas se faire tuer. Génial.

« _ Bon. Ce qui est fait le reste, dans tous les cas. On doit juste fuir, maintenant. Quoique, tu ne pourrais pas essayer de juste leur rendre gentiment ? tentai-je désespérément.

_ Ils nous tueraient quand même, soupira-t-elle. Juste pour le plaisir. Et Dieu seul sait ce qu'ils feraient avant d'en arriver là... »

Évidemment, je m'attendais à cette réponse. Il me fallait donc réfléchir, et vite. Nous ne pouvions pas rester là, et, même en bougeant tout le temps, il allait nous être difficile de ne pas se faire repérer. Deux jeunes filles, seules, et traînant un pauvre petit chariot de ferme derrière elles n'était pas vraiment la définition de la discrétion.

« _ On a qu'à continuer à avancer vers Tamanrasset, proposai-je. Bien sûr, on ne se montrera pas dans la ville en plein jour, mais il va nous falloir de nouvelles provisions tôt ou tard. On volera ce dont on a besoin dans la nuit, et on repartira aussi vite qu'on sera arrivées. »

Yeleen acquiesça, semblant plutôt d'accord avec mon idée. Tamanrasset était une ville située sur le territoire de l'Algérie, elle avait été construite en plein désert grâce à la présence d'une oasis non loin de sa position. Où il y avait de l'eau, il y avait de la vie.

Nous prîmes donc un repas sommaire, tentant d'économiser ce qu'il nous restait pour survivre, notre course-poursuite ayant été un peu destructrice pour ce que nous transportions. Après cette brève petite pause, nous reprîmes donc notre chemin vers le nord, un peu plus posément cette fois. Il était inutile de courir, il suffisait de partir à point, me dis-je ironiquement.

Alors que nous avancions lentement, ma compagne tourna la tête vers moi, gênée. Elle se mordillait la lèvre inférieure d'une façon tout à fait adorable, et me fixait avec de grands yeux dont l'expression me restait indéchiffrable. Elle se décida finalement à prendre la parole.

« _ Merci pour tout, Esi. Pour la confiance et le soutien que tu m'apportes. Pour le sourire que tu me donnes chaque jour passé à tes côtés, me déclara-t-elle timidement. »

Je lui répondis par un large sourire et m'approchai d'elle pour déposer un petit baiser sur sa tempe. Son visage prit immédiatement une teinte cramoisie, et je ris de bon cœur. Nous avions choisi de faire ce voyage ensemble, pour le meilleur, et pour le pire.

~ ~ ~

→ Point de vue de Yeleen.

J'avais eu tellement peur qu'Esi décide de se séparer de moi en apprenant ce que j'avais fait. J'aurais dû lui dire la vérité dès le début. Je me sentais un peu plus légère, à présent. Mais je ne lui avais pas encore tout avoué, et cela me taraudait l'esprit. Cependant, je préférais garder le silence pour le moment. Je me sentais déjà énormément chanceuse de l'avoir toujours à mes côtés après ce que j'avais fait.

J'avais délibérément mis sa vie en danger en même temps que la mienne. Elle risquait une mort atroce en faisant ce choix de me protéger. A cause de moi, ces meurtriers connaissaient à présent son visage. S'ils nous retrouvaient, nous étions promises à une mort certaine. Je pouvais donc considérer qu'Esi m'avait finalement offert la plus belle preuve de confiance imaginable.

→ Fin du point de vue de Yeleen.

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