XIII - Echec

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Par chance, nous n'avions croisé personne depuis que nous étions parties. Nous restions tout de même sur nos gardes, attentives à ne laisser aucune trace de notre passage sur les chemins que nous traversions. Nous évitions au maximum les axes les plus fréquentés, bien que nous devions tout de même trouver de quoi nous diriger dans ce dédale de dunes.

Nous fûmes cependant obligées de nous arrêter quand le soleil commença à décliner, la fatigue commençant à avoir raison de nous. Pas de ruines à l'horizon cette fois-ci, nous allions donc devoir dormir à la belle étoile, nous exposant ainsi à la vue de tous. Encore une fois, il nous était impossible d'allumer un feu, c'est donc des aliments froids que nous mangeâmes avant de nous coucher.

Comme nous n'avions pas d'autre moyen pour nous réchauffer, nous nous étions collées l'une à l'autre sous une montagne de couvertures rugueuses. Niveau rapprochement, difficile de faire mieux. Nous commencions à nous endormir, terrassées par notre manque de sommeil, lorsque des voix graves venues de derrière une dune voisine éveillèrent nos sens.

« _ Elles ne doivent pas être bien loin, affirma la première voix.

_ Oui, on devrait les retrouver demain, confirma l'autre.

_ Cette petite peste va le payer très cher, vociféra son interlocuteur.

_ Et sa charmante petite amie va nous divertir ! s'exclama joyeusement une troisième. »

Yeleen tourna la tête vers moi, terrorisée. Je n'en menais pas large, mais c'était bien la première fois que je la voyais avoir peur de quelque chose. Ça la rendait d'autant plus irrésistible. Je tendis la main vers la sienne pour l'attraper et la serrer doucement, rassurante. J'avais une petite idée derrière la tête.

« _ On va attendre qu'ils s'endorment, chuchotai-je. Ensuite, on entrera dans leur campement pour récupérer notre chameau, et on partira aussi discrètement que possible. »

La jeune fille acquiesça, avec un peu d'appréhension malgré tout. Il fallait dire que ce que je proposais était plus ou moins une mission suicide. C'était quitte ou double. Soit nous réussissions, et nous partions sur le dos de l'animal, distançant donc suffisamment les hommes. Soit nous nous faisions repérer, tuer et je ne savais quelles autres atrocités auxquelles je ne préférais pas penser. Mais il fallait tenter le coup.

Nous commençâmes donc notre attente, ayant choisi de nous relayer à la surveillance du petit campement afin de nous reposer un minimum avant notre mission difficile. Nous aurions besoin de toutes nos capacités si nous voulions réussir sans trop de dégâts.

~ ~ ~

« _ Esi, réveille-toi... gémit une petite voix proche de mon corps allongé. »

J'ouvrais lentement les yeux, encore fatiguée puisque je n'avais dû dormir qu'une heure ou deux. Ma vision mit quelques temps à s'adapter à l'obscurité, et quelques secondes de plus avant que je ne réagisse à ce qui me faisait face. De mon point de vue, je pouvais voir les pieds de Yeleen. Sauf qu'ils avaient quelque chose d'étrange. Ils ne touchaient pas le sol.

Je dirigeais donc mon regard vers le haut de son corps, tentant de comprendre ce qu'il se passait. Un poignard faisait pression sur sa gorge. Ses yeux étaient exorbités, quelques larmes de terreur mélangée à de la tristesse dévalaient ses joues. L'un des hommes qui nous poursuivaient peu de temps auparavant se tenait derrière elle, une main serrée fortement autour de ses poignets fins, l'autre tenant fermement le couteau qui menaçait sa carotide. Je déglutis.

« _ Ne lui faites pas de mal, s'il-vous-plaît, tentai-je d'une voix éraillée. On va vous rendre ce que l'on vous doit, je vous le promets... »

L'homme me dévisagea avec un sourire mauvais qui n'annonçait rien de bon. Il resserra l'emprise qu'il avait sur Yeleen, m'arrachant une grimace d'effroi à l'idée qu'il la blesse. Sa voix s'éleva finalement dans le silence de la nuit, aussi glaçante que la température qui y régnait.

« _ Me rendre ce que vous me devez... ? Mais il y aura des intérêts à verser en supplément, petite. Pour vous punir du temps que vous aurez mis à vous rendre à l'évidence... plaisanta-t-il salement.

_ Tout ce que vous voudrez, du moment que vous la relâchez, suppliai-je. »

Le fait que je le supplie semblait lui plaire énormément, son sourire sadique s'élargissait au fur et à mesure de mes mots. Ses yeux brillaient d'une lueur qui ne présageait rien de bon. Ses mains se relâchèrent finalement et il laissa Yeleen s'écrouler à mes côtés. Je plaçai immédiatement un bras sur sa hanche, protectrice.

« _ Toi, va chercher le paquet que tu nous as volé, lança-t-il à l'adresse de mon amie. Et toi, continua-t-il en se retournant vers moi, tu vas me suivre un peu plus loin, ordonna-t-il en me faisant un sourire carnassier qui me fit frissonner. »

Yeleen me lança un regard terrifié et désolé tout en se relevant en trébuchant pour se traîner jusqu'à son sac à dos. Je la vis se saisir d'un colis rectangulaire emballé dans du papier marron que je n'avais jamais vu auparavant. Elle m'avait bien caché son secret, soupirai-je. Dieu sait combien elle en avait encore.

Je n'eus pas plus le temps de m'interroger sur la face cachée de mon amie, l'homme m'ayant empoignée par le col pour me relever et me traîner derrière lui, le paquet qu'il avait récupéré se trouvant dans sa main libre. Il le balança finalement vers le campement de ses camarades pour se concentrer sur ma petite personne.

« _ Il est temps que tu me rembourses les intérêts, petite, susurra-t-il avec un grand sourire. »

Je frissonnai de dégoût, réprimant un haut-le-cœur. Mon corps tout entier tremblait, ce que je tentais tant bien que mal de cacher à l'homme qui me traînait derrière lui. Mes mains étaient moites, la tête me tournait. Je savais ce qui m'attendait, et cette fois, je ne pourrais pas tuer mon agresseur, ce serait supprimer notre seule chance de survie.

J'allais donc devoir subir ma sentence, encore une fois, sans esquisser le moindre geste qui puisse nous mettre toutes les deux en danger de mort. J'allais presque finir par en prendre l'habitude, si cela continuait ainsi. Oui, l'humour noir était tout ce qu'il me restait pour faire passer la pilule.

Mon geôlier s'arrêta et me lâcha, tête la première dans le sable. Je fermai les yeux, serrai les dents et les fesses. Attendant ma punition. Je pensais savoir ce qui allait m'arriver. Je pensais avoir déjà rencontré la cruauté humaine. Je pensais avoir déjà vécu un cauchemar. Je n'étais pas au bout de mes surprises.

DunesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant