VII - Compagnie

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J'avais marché seulement quelques dizaines de minutes avant de m'écrouler dans le sable froid. J'étais exténuée, et cette fois, le sommeil ne tarda pas à venir. Je ne me réveillai qu'en sentant la brûlure du soleil sur mon visage non-protégé. Je me redressai difficilement dans le but de continuer ma marche.

J'avais finalement suivi le cours du fleuve afin de ne pas me perdre dans l'obscurité. L'agréable musique que chantait le courant était trop tentante pour que je ne cède pas à un bon bain tant que l'eau n'avait pas encore trop chauffé. Je vérifiai que j'étais bien seule avant de quitter mes vêtements et de me glisser avec délice dans le liquide.

Je profitais de cette douce caresse depuis quelques minutes lorsque mon regard capta un mouvement non-loin du petit tas que formaient mes affaires. Je me retournai immédiatement, me baissant légèrement afin de dissimuler mes parties intimes sous la surface. Mes yeux s'écarquillèrent, et je manquais de me décrocher la mâchoire.

« _ Tu ne t'attendais pas à me voir ? Au passage, tu es plutôt bientôt foutue, me lança Yeleen. »

Elle souriait, amusée. Ses bras étaient croisés sur sa poitrine et elle se tenait dans une posture mettant la délicieuse courbe de ses hanches en valeur. Ses cheveux voletaient légèrement sous la faible brise qui caressait le désert. J'aperçus son chameau, attaché non-loin à un tronc d'arbre pourri, en train de mastiquer un buisson sec.

« _ D'où est-ce que tu tiens ton chameau, au fait ? demandai-je en toute innocence.

_ Je l'ai volé. Nous sommes de la même espèce, jolie brune, rétorqua-t-elle. »

Première constatation, mes joues avaient dû virer au rouge pivoine depuis bien longtemps déjà. Seconde constatation, cette fille ne comptait visiblement pas me laisser tranquille de si tôt. Et, enfin, elle venait clairement de me traiter de voleuse. Mais je n'étais pas vraiment dans la meilleure posture imaginable pour contre-attaquer.

« _ Dis, tu pourrais te retourner deux minutes... ? gémis-je. »

Yeleen obtempéra en riant. Je pus enfin sortir de l'eau, courir maladroitement jusqu'à mes affaires et me rhabiller en bougonnant. Je me recoiffai sommairement avant de lui signaler qu'elle pouvait à présent me regarder. Elle me dévisagea, rieuse.

« _ Tu ne comptes pas me laisser tranquille, hein ? la questionnai-je de façon rhétorique.

_ Tu as tout compris, sourit-elle.

_ Tu n'as rien d'autre à faire de ta vie ?

_ Visiblement, non, répondit-elle sèchement, perdant toute trace de sourire sur son visage. »

Je compris alors que j'avais touché une corde sensible et m'excusai en lui faisant une légère grimace. Elle sembla se détendre, mais l'ombre qui s'était posée sur son visage ne la quitta pas. Mon cœur se serra. « Il y a des fois où tu ferais bien mieux de fermer ta gueule, Esi ! » râlai-je.

« _ Bon, on fait quoi maintenant ? tentai-je.

_ Je serais d'avis de faire un saut à Agadez avant de continuer notre voyage. Nous avons besoin de provisions et il nous manque un peu de matériel, accepta-t-elle de répondre. »

J'acquiesçai, totalement en accord avec son idée. Ce serait la toute première fois que je quitterais le Mali. J'avais toujours vécu à Bamako sans jamais en sortir. Ma mère m'avait bien parlé de son continent d'origine et de ses nombreux voyages, mais ce serait la première fois que je verrais un autre état que le mien de mes propres yeux. J'étais partagée entre excitation et appréhension.

Nous n'étions plus très loin du Niger, le fleuve servait de frontière entre les deux pays. Il nous faudrait simplement trouver un endroit plus calme pour traverser. L'entrée des pays par le désert n'était pas très surveillée, c'était bien trop difficile. Nous passerions donc sans trop d'encombres. De toutes façons, les autorités étaient bien trop occupées avec les conflits qui faisaient rage.

Nous partîmes donc sans plus de cérémonie à la recherche d'un endroit où nous pourrions traverser le fleuve. La conversation était un peu rompue, et je n'osais pas briser le silence oppressant qui s'était installé entre nous. Pourtant, une nouvelle question avais germé dans mon esprit et me piquait les lèvres.

« _ Qu'est-il advenu du convoi dans lequel j'étais ?

_ Beaucoup ont étés tués pour rendre l'accès à votre chargement possible. Ceux qui se sont rendus sont restés en vie, mais ils ont été emmenés je ne sais où pour être questionnés. Ils n'était pas parqués au même endroit que toi. Tu devais être une monnaie d'échange. »

J'encaissai ses propos sans rien dire. Il était inutile de tenter un quelconque acte héroïque. Je n'avais pas à me mêler de ces histoires. Ils avaient décidé de transporter ces armes, ils en connaissaient les risques et devaient en assumer les conséquences. C'était tout.

Ma mère avait été tuée par sa gentillesse et sa compassion. Je m'étais jurée de ne jamais finir comme elle. Il fallait avant tout penser à sa propre survie. Ensuite, venait celle de ceux auxquels on tenait. Le reste importait peu. Il fallait vivre.

~ ~ ~

→ Point de vue de Yeleen.

Je l'avais retrouvée. Ce n'était pas un exploit, mais voir son visage avait comblé le vide qui avait commencé à se former dans ma poitrine lors de son départ. Puis, la situation dans laquelle s'étaient faites nos petites retrouvailles avait été plutôt agréable pour moi. Je garderai cette image bien au chaud dans ma mémoire.

Esi avait réveillé sans le vouloir des souvenirs douloureux en moi. J'étais consciente qu'elle ne l'avait pas fait exprès, et qu'elle s'en était certainement voulu, mais cela faisait toujours aussi mal. Ma mémoire était encore trop vive au sujet de ces événements. J'espérais pouvoir tourner la page un jour, c'est pourquoi suivre cette jolie jeune fille dans son voyage m'avait paru être une bonne idée. J'espérais ne pas le regretter.

→ Fin du point de vue de Yeleen.

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