XXIII - Séparation

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« Yeleen,

Je tenais à m'excuser pour tout ce que tu as pu subir par ma faute. Tu n'aurais certainement jamais dû décider de me suivre ce soir-là, à Tombouctou. Et je n'aurais certainement jamais dû te laisser le faire. Mais les jours que j'ai pu passer à tes côtés grâce à cette erreur étaient les plus beaux de ma vie, sois-en certaine.

Aujourd'hui, je décide de cesser de mettre ta vie en danger en même temps que la mienne. Tu n'as pas à frôler la mort pour me permettre d'atteindre mon but. Le voyage que j'ai entrepris est beaucoup trop dangereux, et je ne peux pas accepter de risquer de te perdre ainsi.

Je t'aime, Yeleen. C'est une certitude, et je souhaite que tu n'en doutes jamais. C'est pourquoi je te quitte maintenant, sur ce lit d'hôpital. La dernière chose que tu puisses faire pour moi, c'est de survivre. Reviens-nous, Yeleen. Je t'aime de tout mon cœur, de tout mon être.

''Puissions-nous nous rencontrer à nouveau.''

Avec tout mon amour,

Esi. »

Je posai le crayon que je venais d'utiliser dans un soupir, à côté de cette lettre si décisive. C'était fait. Je ne reviendrais pas en arrière. Je jetai un dernier regard à la belle au bois dormant allongée paisiblement à mes côtés. Elle semblait si calme, dans ce sommeil artificiel. Elle ne se doutait certainement pas de ce que j'étais en train de faire.

Je me levai silencieusement de la chaise inconfortable que j'avais empruntée pour écrire. Je m'approchai lentement de son corps, le cœur serré. Je me penchai pour déposer un chaste baiser sur ses lèvres si attrayantes, m'attardant sur son si beau visage endormi. Je ne le reverrais certainement plus jamais, j'en étais consciente. Les chances que je la retrouve un jour étaient minces. Si jamais elle se réveillait.

Je pris finalement à contrecœur la direction de la sortie, les larmes aux bords des yeux, les lèvres tremblantes et le souffle saccadé. J'attendis que la porte de la chambre se referme inexorablement derrière moi pour craquer et partir en courant (aussi vite que mes blessures me le permettaient). J'atteignis enfin l'extérieur et pris une grande bouffée d'air, refoulant les gouttes d'eau salée qui tentaient de glisser sur mes cils.

« _ Adieu, mon amour, murmurai-je entre deux sanglots. »

~ ~ ~

→ Point de vue de Yeleen.

Je criais. Je pleurais. Je hurlais. Je frappais de mes poings tout ce qui pouvait passer à ma portée. Mais personne ne m'entendait. Personne ne pouvait m'entendre. Je n'étais qu'une âme, qu'un esprit perdu entre la vie et la mort. Je n'avais même pas de corps propre.

Voilà quelques heures que je m'étais réveillée ainsi. Je pensais être enfin sortie de mon coma, mais il n'en était rien. J'étais tout simplement en train de vivre ce dont tellement de personnes parlaient, la qualifiant ''d'expérience de mort imminente''. Rassurant.

J'avais donc eu tout le loisir d'observer le manège des infirmières qui s'affairaient autour de mon corps figé et d'analyser l'état dans lequel mon enveloppe corporelle se trouvait. Ce n'était pas joli à voir, et plutôt inquiétant. J'en étais là dans ma réflexion lorsqu'une toute autre personne avait poussé la porte de la pièce qui m'enfermait.

Esi. La pauvre âme que j'étais s'était figée, bien que je n'aie pas grand chose à mouvoir, puisque je n'avais pas de peau et encore moins d'organes dans cet état. Je l'avais regardée s'avancer jusqu'à mon lit, me détailler longuement des yeux, abattue.

J'avais ensuite pu la voir s'emparer d'une feuille de papier et d'un stylo, afin de rédiger cette fichue lettre. Elle s'était assise près de moi, en grommelant à propos du confort de la seule chaise qui meublait l'endroit. Elle tentait de se donner une contenance, de se persuader qu'elle allait bien. Qu'elle était forte. Comme elle l'avait toujours fait.

Je m'étais penchée inconsciemment au-dessus de son épaule, lisant chaque mot au fur et à mesure qu'elle les couchait sur le papier, les imprégnant un à un dans ma mémoire. J'avais l'impression de pleurer, mais pourtant aucune larme ne venait tâcher la lettre. Lorsqu'elle se releva, je tentai d'attirer son attention :

« _ Non ! Esi, ne fais pas ça ! Esi, écoute-moi ! Je suis là ! Putain, Esi ! Reviens ! »

Évidemment, elle ne pouvait pas m'entendre. Détruite, je suivais donc du regard chacun de ses mouvements, me retenant de hurler à nouveau lorsqu'elle embrassa ma chair inanimée. Je la regardais partir, habitée par l'horrible impression que tout mon être était en train d'être réduit en lambeaux.

Je la suivis difficilement dans les couloirs, jusqu'à l'extérieur. Elle me porta le coup de grâce en s'effondrant à même le sol, devant la porte d'entrée. Tout le monde la regardait, mais elle n'en avait pas grand chose à faire. Elle pleurait. Elle souffrait.

« _ Esi... Je suis tellement désolée... Je n'y arrive pas, j'arrive pas à me réveiller... Je t'en prie, laisse-moi le temps... lançai-je dans le vent. »

Elle s'éloigna finalement de l'hôpital, sortant ainsi du périmètre dans lequel je pouvais continuer à la surveiller. Vaincue, je regagnai donc la chambre où reposait mon pauvre corps. Je n'arrivais pas à revenir à la réalité. Mais j'y arriverai. Pour elle. J'y arriverai, et je la rejoindrai. J'en faisais la promesse.

→ Fin du point de vue de Yeleen.

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