À travers toi [EN CORRECTION]

2.♩ Rien n'est gratuit

Kyle

- Comment ça va aujourd'hui ? demande le Docteur Williamson, ma psy.

- Rien n'est différent depuis hier.

- Comme l'anniversaire de la mort de Cole approche, je me demandais comment vous gériez.

- Je préférai parler d'autre chose...

- Pourtant, il faudrait vraiment qu'on parle de lui un jour.

- Pour dire quoi ? dis-je en tournant la tête en direction du Docteur Williamson. Pour vous répéter encore une fois qu'il est mort à cause de moi ! Que je n'ai pas su le protéger ! Que tout est de ma faute ! C'est ça que vous voulez entendre ? !

Je me lève brusquement de mon fauteuil. La journée n'était pas totalement pourrie, mais là, elle est clairement bousillée ! Je vais être d'une humeur massacrante jusqu'à ce que je m'endorme !

- Asseyez vous Kyle, dit-elle sereinement.

- On se verra demain, dis-je en prenant la porte.

Putain de psy ! Je n'ai pas besoin d'elle pour parler de Cole. D'ailleurs, je ne veux même pas parler de lui. Ça fait trop mal. Ça me fait tellement souffrir de me dire qu'il est mort par ma faute et que si j'avais mieux fait mon travail, il serait toujours en vie, et je ne serai pas infirme. Mais là vérité, c'est que j'ai fauté, et mon frère en est la preuve.

Ce jour là, j'ai tout perdu... Il était si jeune... 22 ans putain !
Trois ans que je me maudis. Trois ans que je n'ai pas donné signe de vie à mes parents car j'ai trop honte de ne pas avoir su protéger leur fils. Trois ans que je me demande pourquoi lui plutôt que moi.
J'étais si fier qu'il s'engage à mes côtés. Tellement fier. Cette expérience aurait dû nous lier plus que tout, mais la vie en a décidé autrement. Je suis là où il ne pourra plus jamais être.
Je suis tellement désolé...

■■■■■■

En montant dans le bus, comme tous les jours, je salue Bill et m'assois derrière lui.
Trois marches, deux pas à gauche.

Il me raconte je ne sais pas trop quoi. En réalité, je n'écoute pas ce qu'il dit, encore trop énervé après mon rendez vous avec Suzane Williamson. Comme j'ai écourté mon entretien, je suis dans le bus 30 minutes plus tôt. Tant mieux, je serais plus tôt chez moi ! Heureusement que Bill fait la même tournée toutes les heures.

Après plusieurs minutes de trajet, la jolie voix fait son apparition au fond du bus. Je reconnais Fallin' d'Alicia Keys. Ce n'est pas le genre de musique que j'apprécie, mais je la connais, comme tout le monde.
Le vieux Bill souffle pour montrer son agacement. En revanche, moi, sa voix me détend. Je me sens petit à petit apaisé par ce son qui caresse mes oreilles. Je savoure ce moment en fermant les yeux pour imprégner chacune de ces paroles, et enregistrer son identité. Car c'est comme ça que je reconnais les gens qui m'entourent. Je dois me rappeler leur voix, leurs intonations, leurs odeurs...
Chaque nouvelle personne que je rencontre n'a pas de visage pour moi, alors je dois trouver un autre moyen de me les rappeler.

La voix s'arrête brusquement au milieu de la chanson.

- Quoi ? dit cette voix, de manière exaspérée. C'est quoi que tu comprends pas dans « c'est fini » ?

Elle ne dit rien un court instant, sûrement en train d'écouter ce que son interlocuteur lui dit au téléphone.

- Va te faire foutre Ben ! ajoute-t-elle.

Elle a l'air en colère.

- Oh merde... dit Bill.
- Quoi? dis-je étonné.

- Elle remet ses écouteurs... Et elle est énervée... Seigneur ! Pourquoi il a fallu que cette fille prenne ce bus ?

La remarque de Bill me fait sourire. Mais je comprends très vite d'où sort la réputation explosive de cette demoiselle.

The kids aren't alright de The Offspring, voilà ce que cette fille se met à chanter. Je souri de plus belle. Ça fait une éternité que je n'ai pas entendu cette chanson. Et entendre cette voix sur ce morceau, c'est juste exceptionnel.

Je me rappelle lorsque j'étais ado, je faisais partie d'un groupe où je jouais de la guitare, les 5 Hours of Detention. On s'était appelé ainsi à cause d'une boulette qu'on avait fait et qui nous avait value cinq heures de colle chacun. The Offspring, on les a toutes faites. C'était la bonne époque. Le temps de l'insouciance. La belle vie. Je regrette souvent ses années où la vie était bien plus simple.

- Elle est comment ? dis-je à Bill, curieux.

- Complètement barge ! annonce-t-il.

- Sérieusement... dis-moi comment elle est, dis-je en souriant.

- Blonde, yeux marrons, 1m70 je dirais, la vingtaine, plutôt pas mal... Je dois dire que, si j'avais 30 ans de moins, et si elle n'était pas si tarée, j'aurai sûrement tenté ma chance.

Je souris de nouveau en écoutant le rire de Bill.

- Qu'est-ce qu'elle porte ?

- Un tailleur, et des talons.

- Tu te fous de moi ?

- J'aimerais mieux...

Cette fille « complètement barge » qui chante du rock, porte un tailleur.

Étrangement, je ne l'imaginais pas ainsi. Dans mon esprit, je voyais plutôt une ado déchaînée totalement extravertie. Mais si elle porte un tailleur, c'est qu'elle doit bosser dans un bureau ou un truc dans le genre. On est bien loin de la petite adolescente rebelle.
Je l'écoute sagement en me remémorant quelques bons souvenirs. Ça faisait longtemps que je n'avais pas pensé à cette époque. Ça fait du bien...

La rockeuse en tailleur continue de chanter, elle enchaîne ensuite sur du Linkin Park puis du Nirvana. À croire que quand cette fille est en pétard, elle aime le rock des années 90/2000. Je suis tellement absorbé par cette voix que j'ai oublié de descendre du bus. Tant pis, je descendrai au prochain tour. Mais je remarque ensuite que la voix n'est pas descendue au même arrêt que la veille.

Plusieurs minutes plus tard, le bruit s'évapore dans le bus. Plus rien... Elle est partie. Le calme s'est à nouveau répandu dans le bus, et la tempête à repris place dans mon esprit.