À travers toi [EN CORRECTION]

3. ♩Je donnerai tout

Kyle

J'avance dans la maison en me dirigeant vers le bureau. Écouter cette fille m'a rappelé à quel point j'aimais jouer de la guitare avant. Avant la mort de Cole.
Il adorait me regarder quand il était plus jeune. J'ai tenté de lui apprendre à en jouer, mais il n'y avait rien à faire. Il était doué pour un tas de choses, mais la guitare, c'était affreux pour mes oreilles. J'aurai été un mauvais frère si je l'avais encouragé à continuer. Il n'avait clairement pas de dispositions pour la musique.

Je sais où elle est même si ça fait des années que je n'y ai pas touché. Je viens de la sortir de son étui.
Ma main caresse le doux manche et je savoure cette sensation qui me rappelle tant de choses. Mes doigts glissent lentement sur les vieilles cordes usées. Elles sont froides. Ça fait si longtemps...
Je l'attrape timidement et pars m'asseoir sur le fauteuil du bureau.

Trois ans que je n'ai pas joué. Je ne sais même pas si j'y arriverai encore. Le fait de ne pas voir n'est pas le problème. Un bon musicien n'a pas besoin de ses yeux. Il ressent son instrument. Mais je crois que j'ai peur d'aimer ça. D'y reprendre goût alors que je m'interdis toute sorte de bonheur. À croire que la perte de la vue n'est pas un châtiment assez dur.

Prenant mon courage à deux mains, je place ma guitare, le manche dans ma main gauche...
La première mélodie qui me vient est celle que j'avais tenté d'apprendre à Cole au tout début, il l'aimait bien et ce n'était pas là plus compliquée.
Les mains tremblantes, je fais résonner les premières notes dans la pièces. Je ferme les yeux en fredonnant les paroles de Far away de Nickelback.

I keep dreaming you'll be with me
Je continu de rêver que tu seras avec moi
And you'll never go
Et que tu ne partiras jamais
Stop breathing if
En arrêtant de respirer si
I don't see you anymore
Je ne te vois plus

■■■■■■

- Kyle ? T'es où ?

- J'arrive, dis-je en entendant Abby dans le salon.

Je suis en train de ranger ma guitare dans son étui quand j'entends mon amie au pas de la porte.

- Tu jouais ? demande-t-elle.

Au ton de sa voix, je sais qu'elle souri. Heureusement pour moi, le petit Jared arrive tel une tornade dans la pièce. Du haut de ses trois ans et demi, il me saute dessus comme à chaque fois. Je l'attrape pour le prendre dans mes bras. Il saisi une branche de mes lunettes pour me les retirer.

- Bonzour tonton Kyle !

- Bonjour.

Depuis que ce petit mec est capable d'aligner deux mots et de marcher, il agit comme ça. Il se jette sur moi pour que je le porte, m'enlève mes lunettes pour me dire bonjour et repart avec sur son nez quelques minutes.
Jared ne se rend pas compte que je ne vois pas. Il le sait bien sûr, mais pour lui, tout est normal. Il m'a toujours vu comme ça. Et je crois qu'il m'aime ainsi. Tonton Kyle et ses lunettes.

J'aime le prendre dans mes bras. Ça me fait du bien. De plus, lorsque son petit visage est si proche de moi, je distingue quelques ombres. Je ne saurai dire à quoi il ressemble. Je parviens seulement à voir la forme de sa tête, de sa tignasse frisée et de ses grands yeux noirs.
J'ai de la peine pour ce petit gars qui ne connaît pas son père et qui ne le rencontrera sans doute jamais.
Dans mon état, je ne peux même pas aider Abby en lui donnant une aide masculine pour son fils. Mais je tente d'être là du mieux que je peux.

J'adore Jared. Il comble un peu le vide qui me ronge quand je pense que je n'aurai jamais d'enfant.
Avant, j'en voulais. Même si je n'avais pas encore trouvé la femme de ma vie, je savais qu'une vie sans enfants n'était pas la vie comme je la conçois. Je rêvais d'une grande famille. Une femme qui aurait élevé mes quatre enfants pendant que moi, je me serai battu pour mon pays, avec Cole.

Et me voilà, 28 ans, aveugle, sans boulot, sans femme, sans enfants, sans frère...

■■■■■■

Allez, c'est vendredi, dernier rendez-vous de la semaine avec Williamson.
Je patiente sagement dans la salle d'attente. Je songe à mon rendez-vous de la veille. Je devrais peut être m'excuser d'être parti. Elle sait que je ne veux pas parler de Cole, et insiste à chaque fois. Ça a le don de me miner le moral. Et je dois dire que je n'ai pas vraiment besoin de ça. Je me trouve déjà assez dépressif comme ça. Pas la peine d'en remettre une couche.

La porte de son bureau s'ouvre.

- Kyle, entrez, dit-elle.

Je me lève, et marche quatre pas sur la gauche avant de me trouver nez à nez avec elle. Je lui tends la main pour la saluer.
Dans son bureau, j'avance de neuf pas avant de trouver le fauteuil où je dois m'asseoir.

Avant même que Suzane Williamson ne dise un mot, je prends la parole.

- Je suis désolé... pour hier. Je n'aurai pas dû réagir comme ça.

- C'est oublié, dit-elle. Alors... comme on ne peut pas encore parler de Cole, de quoi voulez vous discutez ?

- Je vais peut être prendre un chien, dis-je, ne sachant pas quoi dire d'autre sur le moment, pris au dépourvu.

- Bien. Excellent.

- En quoi ?

- Un peu de compagnie ne vous ferait pas de mal.

- J'ai des amis...

- Une amie, et son fils de trois ans ?

- Ils ne me jugent pas.

- Un chien non plus. Peut importe qui vous êtes, comment vous êtes, il vous aimera. Il aura autant besoin de vous, que vous de lui. Pensez-y.

- Je vais y réfléchir.

- Bien. Des nouvelles du Docteur Silver ?

- Pas encore. De toute façon, il m'a un peu fait comprendre que mes chances étaient quasi nulles. Ça fait trois ans que mon œil gauche est totalement aveugle et que le droit ne distingue que certaines formes, de près. Je ne crois pas qu'un jour mon œil droit verra mieux.

- La médecine a fait beaucoup de progrès. S'il y a une solution, le Docteur Silver la trouvera.

Comment dire à Williamson que je ne veux pas la solution à mon problème. Je ne mérite pas d'être heureux et de voir à nouveau. D'ailleurs je ne me suis jamais plaint de mon état. Comment le pourrais-je ?
Mon frère, lui, n'est même plus de ce monde.
Williamson me ferait enfermer si je lui disais tout ce que je pense de ma personne. Et je n'ai pas besoin de ça non plus.