32. Le 22 mai

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Jordan

La vie est belle aujourd’hui ! Je ne me souviens pas avoir été d’aussi bonne humeur depuis longtemps. J’ai juste l’impression que rien ne peut m’atteindre.  Bienvenue dans le monde parfait des Bisounours ! 

C’est donc avec la plus grande joie que je m’installe dans mon fauteuil qui me fait mal au cul. Mais je m’en fous ! Avec le plus grand sourire que je salue mon connard de patron qui ne me répond pas. Mais je m’en tape aussi !

- Johnson Accunting bonjour ! Que puis-je faire pour vous ? dis-je l’air joyeusement hypocrite en décrochant le téléphone du standard.

- J’aurai besoin de parler à Johnson.

Et un bonjour c’est trop cher connard ?!

- C’est de la part de qui ? dis-je sans relever son manque de politesse.

- Eric Forman.

Putain de bordel de merde ! J’espère que ce con n’a pas reconnu ma voix.

- Bien monsieur Forman, je vais voir s’il peut vous prendre.

Je le mets en attente et appel Johnson sur la deuxième ligne. Ce dernier prend l’appel. Je suis soudainement soulagée que la conversation soit terminée.

La vie est toujours belle ! Forman le pervers n’aura pas réussi à bousiller ma journée.

En montant dans le bus ce soir, je lance 24K magic de Bruno Mars dans mes oreilles. La journée est tellement belle que pour la finir en beauté, je décide de m’arrêter chez Kyle. On est lundi, et il n’est pas dans le bus. Faudrait peut-être que je lui demande un jour ce qu’il vient faire dedans.

Devant la porte de mon Superman préféré, je frappe trois coups. Après plus de deux minutes d’attente, je retape trois coups. La porte finie enfin par s’ouvrir . J’aperçois la truffe de Roméo dans l’entre bâillement. Je relève la tête pour découvrir Kyle, silencieux, le visage fermé et les lunettes sur le nez.

- Salut, dis-je doucement.

- Jordan… j’peux pas te parler maintenant. On se voit un autre jour ok ?

- Ça va pas ? dis-je inquiète.

- Pas maintenant Jordan, s’il te plaît, dit Kyle aussi froid qu’un bloc de glace.

Roméo pousse la porte pour se hisser dehors et me sauter dessus. Je le caresse pour lui dire bonjour, mais Kyle le rappelle pour le faire rentrer.

- Va-t-en Jordan, s’il te plaît.

- T’es sérieux ?  Tu me jettes ? dis-je choquée.

- On se verra demain.

Sur ces derniers mots, Kyle referme la porte.
Ce mec est sérieusement sérieux ?

Je reste là, ahurie sur le perron. Je finis quand même par partir, à pied, avec mes chaussures de la mort, en regardant le monde des Bisounours éclater. 

Une fois rentrée, je me jette sous la douche en laissant couler mes larmes. J’ai mal… Terriblement mal…
Pourquoi il fait ça ?  Est-ce que j’ai fait quelque chose ?  Je ne crois pas. J’aimerais me dire qu’il peut bien aller se faire foutre lui aussi mais je n’y arrive pas. J’ai mal…
Il me rejette et c’est comme si le sol disparaissait pour me laisser sombrer. Comment peut-il me repousser ainsi après ce qu’il s’est passé entre nous ? Parce qu’il s’est clairement passé un truc. Pour lui aussi. Je le sais.
Pour la première fois depuis longtemps, je suis amoureuse, et cet homme me repousse. J’ai si mal…

Kyle

Je suis là, assis par terre contre la porte de l’entrée. Elle est toujours derrière. Je patiente jusqu’à entendre ses talons s’éloigner. Mais je suis toujours incapable de me relever.  Une larme solitaire s’échappe de derrière mes lunettes pour glisser sur ma joue. Je l’essuie du revers de la main. J’ai beau être habitué à la douleur, je ne parviens pas à y faire abstraction cette fois-ci. J’ai repoussé la seule chose qui me rendait heureux. Mais c’est pour son bien. Elle ne mérite pas cette vie. J’ai beau l’aimer comme un fou, je sais que son bonheur est loin de moi. Derrière mes regrets, mes fautes et mes souvenirs douloureux, je ne peux rien lui donner de bon. Elle est tellement parfaite , tellement rafraîchissante, et tellement belle… Je l’ai seulement aperçu dans un décor brumeux, mais elle est magnifique. Tout en elle est magnifique.  Je ne veux pas être ce cavalier noir qui la suit comme son ombre. Jordan doit briller. C’est là qu’est sa place… Dans la lumière, et non l’obscurité terrifiante de mon existence.

Le reste de la soirée, la journée du 22 mai 2014 tourne en boucle dans ma tête. 

« - Encore six semaines frérot.  J’en ai raz le cul de cette bouffe. Dès qu’on rentre, je m’enfile un plat de lasagnes !

- Maman ! Sort de nos deux bouches. »

C’est vrai que ma mère fait les meilleures lasagnes du monde. Sa cuisine me manque souvent, surtout quand je pense que je suis obligé de me taper des plats cuisinés de supermarchés. Son sourire aussi me manque. Mais je suis peiné de constater que  je ne verrai plus jamais le si jolie sourire de ma mère.

«  C’est pas un petit bobo qui va m’arrêter ! Allez on se taille ! ».

La dernière phrase que mon frère m’a dite, juste avant de rejoindre la voiture où le drame s’est produit. Si j’avais contrôlé les environs, aucune grenade ne nous aurait touché. Si j’avais été seul pour chercher la jeep, j’aurai été le seul blessé. Comme mon père disait : « avec des si on refait le monde », mais ce n’est pas le monde que je cherche à réparer. Mon monde suffira…

À travers toi [EN CORRECTION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant