31. Roméo

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Kyle

Abby, Jared, Jordan et moi sommes arrivés  à l’association « Un regard » qui donne des chiens aux malvoyants. Jared  est tout excité, je l’entends sautiller comme à son habitude. Lily, la responsable de l’association nous explique que trois chiens vont m’être présentés. Je repartirai avec celui que je préfère. Avec lequel j’aurai accroché le mieux.
Les trois chiens ont entre 12 et 24 mois, tous dressés à l’accompagnement des aveugles. Le simple fait de l’entendre me ramène les pieds sur terre.
Oui, je suis malvoyant. À croire qu’à chaque fois que j’entends ces mots, c’est comme si je découvrais leurs sens.

Jordan me tient la main depuis plusieurs minutes.  Sans doute a-t-elle senti ma gêne subite.
Une fois les trois chiens rencontrés, Lily me demande avec lequel j’ai senti « un truc ». Mais je ne suis clairement pas décidé. Les trois sont gentils, doux et affectueux, alors déjà que je n’étais pas totalement emballé, je ne parviens pas à choisir.
Je me tourne vers Abby qui est à ma gauche.

- T’en penses quoi ? dis-je indécis.

- Ben c’est pas à moi de choisir. C’est pas moi qui vais vivre avec…

- Merci de ton aide Abby, dis-je encore plus paumé. Où est Jordan ? 

- Derrière, avec Jared et Roméo.

- Roméo ?

- Oui Roméo !  Le chien numéro 2.

Je me retourne pour aller les rejoindre.

- Tonton Kyle… Moi ze veux Oréo ! déclare le petit Jared.

Je souris alors que je sens le parfum de Jordan arriver à mes narines. Elle est toute proche.

- Roméo est parfait tonton Kyle, annonce-t-elle en riant. 

- Alors ça sera Roméo.

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Nous passons la soirée tous ensemble chez moi, avec Roméo. C’est un golden retriever blanc de 17 mois.  Il a très vite été adopté par tout le monde. Lily m’a conseillé de rester seul avec lui quelques jours pour que chacun s’habitue à l’autre.  Mais je pense, que c’est plus à moi de me faire à lui que l’inverse.  Roméo n’est pas sauvage. En tout cas, beaucoup moins que moi. 

L’heure est venue à Abby, Jared et Jordan de partir. Je n’ai pas envie que cette dernière s’en aille, mais il le faut.  Je ne sais pas comment cette histoire va finir. J’ai peur qu’elle reste près de moi et qu’elle le regrette ensuite. Mais je ne veux pas qu’elle s’efface du paysage sombre de ma vie.

- On se voit la semaine prochaine, dit Jordan sereinement.

- Je suppose…

- Fais pas cette tête, dit Jordan en rigolant. Approche…

J’obtempère. Jordan vient poser délicatement ses lèvres sur les miennes, et me donne un baiser renversant. Je savoure ce moment parfait en pensant que ce sera sans doute le dernier.

Je me retrouve alors seul, avec Roméo. À cet instant, je me demande si j’ai fait le bon choix.  Comment vais-je réussir à m’occuper de lui ?
Je décide ensuite d’aller faire une petite promenade avec mon nouvel acolyte. Je le caresse furtivement pour trouver où accrocher la laisse à son harnais. Il est très doux et se laisse faire.

- Allez Roméo, à nous deux, dis-je pour m’encourager.

Au fur et à mesure que nous avançons dans le quartier, je me détends et commence à apprécier la balade. Je me rends compte aussi que je n’ai pas besoin de déplier ma canne, car Roméo me guide comme un chef. Il contourne les obstacles en m’entrainant avec lui, s’arrête lorsqu’il ne sait pas où aller. C’est alors à moi de le diriger le temps qu’il reprenne ses marques.

De retour à la maison, je le détache et l’entends courir jusqu’à la cuisine. Je l’écoute ensuite alors qu’il boit. Il a vite compris que ses gamelles étaient là-bas. Roméo n’aura pas trop de mal à vivre ici, et ma déco inexistante ne le gênera pas.

Un peu plus tard, je décide d’aller me coucher, la tête remplie de questions, et de doutes. Ces deux derniers jours avec Jordan, ont été les plus beaux depuis des années. Elle me fait tellement de bien. Je pensais que plus jamais une femme n’entrerait dans ma vie. Mais elle est arrivée sans avertissement. Elle ne me juge pas. Elle n’insiste pas en me posant des questions douloureuses. Lorsque  je lui ai avoué ce qu’il s’est passé il y a trois ans, elle n’a pas cherché à me faire parler davantage. Elle savait que je n’étais pas prêt. Je ne sais pas comment elle fait, mais elle me devine, comme si elle savait tout de moi.

Demain sera une dure journée. Nous serons le 22 mai. Trois ans que Cole est mort et je ne peux m’empêcher de repasser le film dans ma tête.  Il ne nous restait que six semaines avant de rentrer à la maison, sains  et saufs. Se dire qu’à six semaines près, tout aurait été différent est encore plus douloureux. En fin de compte, je le pleur depuis cent cinquante six semaines.

Assis au bord de mon lit, la tête de Roméo vient se poser sur mes genoux. Je crois que c’est vrai quand on dit que les animaux ressentent nos émotions.  Mon chien tente de me consoler car il sait que je suis malheureux. Je passe mes mains sur son poil soyeux et le caresse. Ça me fait du bien. Ça me détend.  J’aime bien la présence  de Roméo finalement. J’aime bien Roméo.












À travers toi [EN CORRECTION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant