33. Pardonner

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Kyle

- On est le 23… Comment ça a été ?  demande Williamson après que je lui ai présenté Roméo.

- À votre avis… mal.

Comment ça pourrait être autrement ?

- Pourquoi n’avez-vous pas essayé de vous changer les idées ? Pour éviter de réfléchir… Avec Jordan par exemple.

- Elle n’a pas besoin de supporter ça. Elle a bien mieux à faire que de me tenir la main.

- Et si c’est ce qu’elle veut.

- Bien sûr que non. Qui voudrait de ça ?  De toute façon, tout est réglé…

- Comment ça ?

- Je l’ai rejeté… hier…

Pourquoi t'as fait ça ?
Le simple fait de me le rappeler me fait affreusement mal. Mes mains se crispent alors sur mes cuisses. Mon cœur s’emballe et une bouffée de chaleur fulgurante s’empare de moi. Un bourdonnement atroce envahi mes oreilles. Je suis à deux doigts de la crise de panique.  Calme toi Kyle… respire… calme toi…

J’inspire et j’expire profondément afin de me ressaisir. Williamson me parle mais je ne comprends pas ses mots.
Le son de sa voix me revient progressivement tandis que la chaleur quitte mon corps peu à peu après plusieurs secondes de torture.

- C’était de ma faute… dis-je tout bas. C’était de ma faute… Cole est mort à cause de moi…

Les larmes menacent de couler de mes yeux abîmés.  J'ai l'impression que si je les laissent faire, elles ne s'arrêteront plus. Mais la douleur en moi est si forte, et la culpabilité si présente, que je ne parviens pas à me maîtriser.  Je m'avoue vaincu et laisse mes yeux couler de détresse, comme un enfant désemparé.

- Vous n’êtes  en rien responsable de ce qu’il s’est  passé.

- J’aurai dû faire attention. C’était mon boulot. Je dirigeais… Et je vais devoir vivre avec ça toute ma vie. J’aurai préféré crever à sa place...

- Vous ne pouvez pas dire ça Kyle.

- C’est la vérité !  Il avait tellement de chose à faire.

J'ai souvent pensé au fait que si j'avais été seul chercher cette voiture, j'aurai été le seul blessé et Cole serait toujours parmi nous. Mais il a fallut que je lui demande de m'accompagner. Pourquoi putain ?

- Vous aussi… si vous arrêtez de vous punir cinq minutes, vous verrez qu’il y a plein de belles choses dans la vie, même pour vous.

Si j’avais été un gamin de cinq ans, je l’aurai sûrement  traité de menteuse. Mais ma vie est bien loin de ressembler à ce à quoi je rêvais lorsque j’étais enfant. Je n’ai plus cinq ans…

- Kyle… pardonnez-vous… Et laissez Jordan choisir d’elle-même si elle doit partager votre vie. Ne lui fermez pas la porte.

- Comment ? J’ai l’impression que je serais incapable de la rendre heureuse, et ça me terrifie. Pourquoi une fille comme elle, si pleine de vie, voudrait d’un mec comme moi ? Il faudrait être stupide ! Et Jordan s’en rendra bien compte un jour ou l’autre… Alors autant arrêter le massacre maintenant avant que tout le monde souffre.

- Ce n'est pas déjà le cas ? me demande Suzane.

- Moi ce n'est pas grave... Je ne veux pas que Jordan souffre...

La discussion tourne en rond. Williamson tente de me résonner mais je n'écoute rien de ce qu'elle me dit. Elle n'a jamais eu aucun pouvoir sur moi, et ce n'est pas quand je suis dans cet état qu'elle obtiendra ce qu'elle veut.

■■■■■■

Alors que je monte dans le bus avec Roméo , une nouvelle crise d’angoisse grandit en moi.
Respire… trois marches… respire… deux pas à gauche…

Je sais qu’elle sera là et je ne sais pas comment réagir.  J’espère lâchement qu’elle fera le premier pas, car si je me lance, c’est le désastre assuré. J'ai de plus en plus peur à chaque minute qui passe, tétanisé par l'appréhension.

Plusieurs minutes plus tard, j’entends ses talons claquer, mais pas comme d’habitude.  En temps normal, sa démarche est plus franche, plus directe. Et d’habitude, sa jolie voix transperce le bus pour me faire profiter de son humeur. Mais là, rien. Pas un son ne sort de sa bouche. Ses talons restent silencieux, et le siège à côté de moi est toujours vide.
Tu t’attendais  à quoi au juste ? Tu l’as  jeté comme une merde !

Moi qui pensais encore il y a dix minutes, que l’éloigner de moi était là meilleure solution, je me rends compte que la savoir à côté en jouant aux inconnus, est une torture sans nom. Et même la torture me semblerait moins douloureuse. 
Allez va la voir ! Un peu de courage putain !

Je me lève  timidement et me dirige vers le fond du bus en laissant mon chien derrière Bill. Je sais où elle est car je reconnais sa douce odeur fruité. Je retire ensuite mes lunettes pour être sûr que c’est bien sa silhouette floue qui est installée juste là.  Je m’assois en gardant le silence, toujours trop lâche pour engager la conversation. 

Jordan ne dit rien. Elle reste inerte, la tête tournée vers la vitre. Je le sais, car je ne vois pas ses yeux. Lorsqu'elle me regarde, je peux entrevoir ses deux billes foncées sur son visage flou. Et à cet instant, je sais qu'elle m'ignore. 

- Je suis désolé, je finis par dire doucement.

Jordan ne dit rien. Elle qui est tellement expressive d’habitude… Son silence m’effraie et me fait mal.

- Jordan…

- Qu’est-ce que tu veux ? lâche-t-elle froidement.

- M’excuser… j’aurai pas dû réagir comme ça… c’était une dure journée...

- Ça n’excuse pas tout. Moi aussi je passe des journées de merde, et le seul truc qui me faisait du bien… c’était toi ! Mais là tu vois, j’ai encore eu une journée dégueulasse et j’ai autre chose à foutre  que t’entendre jouer les victimes ! 

Aïe ! Si ses paroles avaient été des coups, je serais déjà étalé sur le sol à attendre qu’on m’achève comme un animal blessé.
Jordan se lève et me passe par-dessus pour rejoindre l’allée centrale.

- Quand t’auras décidé d’arrêter d’être malheureux, fais moi signe.

Jordan quitte le bus sur ses dernières paroles. Elle vient de me donner le coup de grâce. 



À travers toi [EN CORRECTION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant