Prologue

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"Je suis rentrée avec l'oie. Et je me suis dit : "il veut sans doute que tu la plumes." Alors, je me suis mise à la plumer. Quand elle a été plumée, j'ai regardé. Il était toujours au même endroit. Planté. Il regardait à ses pieds le sang de l'oie. J'y ai dit : "L'est plumée, monsieur Langlois." Il ne m'a pas répondu et n'a pas bougé. Je me suis dit :"il n'est pas sourd, il t'a entendue. Quand il la voudra, il viendra la chercher." Et j'ai fait ma soupe. Est venu cinq heures. La nuit tombait. Je sors prendre du bois. Il était toujours là au même endroit. J'y ai de nouveau dit :"L'est plumée, monsieur Langlois, vous pouvez la prendre." Il n'a pas bougé. Alors, je suis rentrée chercher l'oie pour la lui porter, mais, quand je suis sortie, il était parti."

Eh bien, voilà ce qu'il dut faire. Il remonta chez lui et il tint le coup jusqu'à la soupe. Il attendit que Saucisse ait pris son tricot d'attente et que Delphine ait posé ses mains sur ses genoux. Il ouvrit, comme d'habitude, la boîte à cigares, et il sortit pour fumer.

Seulement, ce soir-là, il ne fumait pas un cigare : il fumait une cartouche de dynamite. Ce que Delphine et Saucisse regardèrent comme d'habitude, la petite braise, le petit fanal de voiture, c'était le grésillement de la mèche.

Et il y eut, au fond du jardin, l'énorme éclaboussure d'or qui éclaira la nuit pendant une seconde. C'était la tête de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de l'univers.

Qui a dit :"un roi sans divertissement est un homme plein de misères" ?"

Jean Giono, Un roi sans divertissement.

Dix TatouagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant