Dix Tatouages

Chapitre 8 : Les plages de Normandie

Suite aux hypothèses émises par Julien, Carmen entreprit des recherches sur les autres personnages du roman de Philippe. Les noms d'Annette Jeannet et de Louis Aloin ne donnèrent rien. Carmen scruta les profils Facebook, Linkedin, les annuaires, mais aucun d'entre eux n'habitaient à S. Elle chercha dans leurs villes d'origines, Paris et Lyon - toujours selon le roman de Philippe -, mais ses recherches ne donnèrent rien. Elle était déçue. Sa théorie ne tenait plus debout. Mais quand elle tapa les noms de François et Juliette Andreani, elle reprit espoir.

« -Venez voir ! dit-elle toute excitée. »

Léna et Julien se mirent derrière elle et se penchèrent sur l'ordinateur. Carmen lut à voix haute l'article qu'elle venait de découvrir. Le journal local de S., Le clocher du village, avait titré :

FRANCOIS ET JULIETTE, LES AMANTS MAUDITS DE S.

L'article se poursuivait ainsi :

« L'histoire tragique du couple formé par François et Juliette Andreani, originaires de Corse, risque de faire la une des journaux du coin pendant quelques temps. Ce petit ménage marié depuis trois ans était paisiblement venu passer ses vacances de Pâques dans notre charmante citadelle. Malheureusement, le repos a été de courte durée pour le couple.

En effet, tandis que les deux tourtereaux séjournaient dans le charmant petit hôtel du Lac, un drame est survenu. François, le mari, était parti chasser dans les environs avec d'autres invités. Quand il revint vers midi pour déjeuner avec sa femme, on lui annonça une triste nouvelle : son épouse était décédée d'une overdose, probablement pendant la nuit. La femme de ménage, ne l'ayant pas vu descendre pour prendre son petit déjeuner, avait décidé d'aller passer la tête à travers la porte de la chambre, et retrouva Mme Andreani étendue sur son lit, le visage hagard et les yeux amorphes. Le médecin légiste, après examen de son corps, remarqua qu'elle avait avalé une forte dose de chloral, un composé chimique toxique et dangereux. Faute de preuves, et à la vue de l'absence d'empreintes sur le lieu du crime, la police ne put mener l'enquête à son terme. Fou de rage et de désespoir, François tenta tant bien que mal de convaincre le commissariat de poursuivre l'affaire, mais le commissaire Bouvardet se montra implacable.

Deux jours plus tard, tandis que François était retourné chasser avec ses camarades de l'hôtel pour s'évader l'esprit, son cheval devint fou et l'entraîna à travers bois, de sorte que les invités qui l'accompagnaient perdirent sa trace. Ils le retrouvèrent quelques heures plus tard, au fin fond de la forêt, le crâne ensanglanté. Il n'y avait aucune trace de lutte, aucun indice qui puisse indiquer la présence d'un autre individu sur la scène du crime.

Interrogé hier par nos confrères du Soir, le commissaire Bouvardet a réagi à cette histoire funeste : ''Ce qui est arrivé à ce jeune couple est dramatique, bien entendu. Ils étaient si jeunes, ils avaient la vie devant eux. Il faut que justice soit faite, spécialement dans ce genre de cas. Néanmoins, il semblerait qu'ils s'en soient occupés eux-mêmes. La pauvre Juliette était instable, vous comprenez, quelle femme emporte dans sa valise un flacon complet de chloral si ce n'est pour mettre fin à ses jours ? Elle n'était pas chimiste, à ce que je sache ? Quant à son mari, il a dû se tirer une balle dans la tête de désespoir. C'est tragique, bien entendu, mais quand les preuves jouent contre vous, ça ne sert à rein d'insister. Ca fait plus de vingt-cinq ans que j'exerce ce métier, vous savez. Je sais de quoi je parle. Déjà, pour l'affaire Martinez, on m'avait reproché de ne pas être allé assez loin. Mais à quoi ça sert de s'obstiner, quand on fonce droit dans un mur, hein ? J'ai suffisamment d'expérience pour savoir que, quand vous n'avez pas d'indices dans les quarante-huit heures qui suivent, il y a 100% de chances pour que vous n'en trouviez jamais. Alors, je ne vais pas forcer les stats, non ? J'ai un bac S, on est pragmatiques, nous, les scientifiques. Ces illuminés d'intellectuels vous diront que la vérité n'éclate jamais si on se cache derrière des apparences, mais j'aimerais bien les y voir, moi. On rigolerait bien... ''