Chapitre 32 : Hurlements

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Pour Carmen, ce fut comme un terrible retour en arrière. L'affolement, la panique qu'elle avait ressenti lors de l'annonce de la mort de Philippe, toutes ces émotions refirent surface comme par magie, comme par ironie. Elle était à l'arrière de la voiture conduite par Théodore, la seule personne qui était parvenue à conserver son calme. Léna pleurait à l'avant. Julien ne disait rien, mais Carmen savait qu'il était bouleversé. Mercure avait retiré ses lunettes, et ses yeux étaient éteints. Les taches cyan avaient disparu.

Elle avait envie de hurler à Théodore d'aller plus vite, quitte à écraser des piétons, à provoquer des accidents. Tous les morts que cette course-poursuite pouvait engendrer ne comptaient pas. La pluie battait son plein et elle ne pouvait rien voir à travers la vitre. Elle avait envie de fumer, elle voulait ouvrir la porte et courir, persuadée qu'elle y serait plus rapidement à pied. Elle voulait étrangler les piétons qui ne se pressaient pas pour traverser, les voitures qui roulaient lentement, tous ces gens qui ne comprenaient rien, qui n'avaient jamais perdu personne, qui ne connaissait pas cette sensation qui broie les entrailles et enflamme le cœur, qui détruit le cerveau et glace les membres. Elle voulait assassiner un de leur proches pour qu'ils comprennent et la laisse passer. Elle voulait être capable de voler, être capable de transplaner d'un endroit à un autre. Ses pensées étaient confuses, ne voulaient rien dire, mais elles trahissaient superbement son profond désespoir.

Finalement, après des minutes qui parurent des heures à Carmen, la voiture s'arrêta devant le commissariat de S. Carmen n'attendit pas que le moteur s'arrêtât pour bondir hors du véhicule, malgré les cris de ses amis. Des banderoles jaunes étaient disposées devant l'entrée du commissariat, mais Carmen connaissait l'entrée arrière qui permettait de contourner les gardes farouches du bâtiment. Elle monta les escaliers quatre à quatre, bouscula quelques personnes et arriva jusqu'au bureau où elle avait passé son premier interrogatoire il y a trois semaines. Des banderoles jaunes balisaient l'entrée dans la pièce. Deux policiers étaient à l'intérieur, ainsi qu'Ilona, le médecin légiste qu'elle avait rencontré il y a quelques jours. Les deux policiers, en l'apercevant, tentèrent de lui barrer la route, mais Carmen hurla :

« -Ilona ! C'est moi, Carmen ! Vous vous souvenez de moi ? »

La jeune blonde leva les yeux, la reconnut et fit signe à ses collègues de la laisser passer. Carmen remarqua qu'elle aussi avait les yeux rouges. Et ce qu'elle vit en entrant dans la pièce ne fit qu'accentuer ses sanglots.

Sabine Meyer était assise sur la chaise de son bureau, les mains attachées derrière, le visage bleu, les lèvres violettes, les yeux révulsés dont le blanc était veiné de rouge. Devant elle se trouvait une bassine remplie d'eau. Cette dernière s'était en partie renversée sur la table et avait taché les dossiers de la commissaire-adjointe. La fenêtre était brisée.

« -Elle est morte noyée, murmura Ilona, la voix brisée.

-Vous êtes sure qu'elle est morte ? Il n'y a pas moyen de la sauver ? tenta désespérément Carmen.

-Elle était déjà morte quand on l'a trouvé. Ca fait un peu plus d'une heure. Je suis désolée, Carmen. »

Carmen s'effondra sur une chaise et fondit en larmes. Elle commençait à peine à s'attacher à la commissaire-adjointe qu'on le lui enlevait déjà. Cette dernière lui avait été d'une aide précieuse. Elle s'était démenée pour lui donner des informations, quitte à travailler dans le dos de son patron. Et elle y a ait laissé sa vie. Pour une femme qu'elle ne connaissait pas, qui lui était avant tout antipathique, Sabine Meyer avait décidé qu'elle était prête à mourir. Mais cette mort était la goutte de trop pour Carmen. Ce n'était pas possible que Sabine soit morte. Comme pour Philippe, elle avait l'impression d'être dans un terrible cauchemar.

Dix TatouagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant