Chapitre 40 : Le dernier coup

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Philippe Saint-Roméo ne s'était pas rasé la barbe depuis plusieurs semaines. C'est le premier détail que remarqua Carmen quand elle se retrouva face à son mari, bien vivant, en bonne santé même, un grand sourire aux lèvres, les mains dans les poches, comme s'il venait de rentrer d'une journée de travail chargée mais agréable. Carmen avait presque envie de déposer un léger baiser sur ses lèvres comme elle avait l'habitude de le faire, avant de se rappeler que Philippe était responsable de la mort d'une dizaine de personne, et qu'elle était la prochaine sur la liste.

«-Philippe, dit-elle. »

Il n'y avait pas d'énervement dans sa voix, ni de stupeur, pas plus de tristesse. C'était un ton neutre, et c'était le seul mot qu'elle avait réussi à prononcer.

Julien était impassible. Lui aussi cachait sa surprise du mieux qu'il pouvait. Carmen se rappela que c'était la première fois que les deux hommes se retrouvaient face à face. Mais aucun combat de coq n'était engagé. Philippe ne regardait pas Julien, il fixait Carmen, Carmen, sa femme bien-aimée, Carmen...

« -O, Carmen, dit Philippe d'un ton faussement amical, doucereux, heureux d'être là, devant sa femme, heureux de voir son malheur dans ses yeux noisettes, heureux de l'effet que son apparition faisait sur les deux amants pris au piège. Ma petite étourdie. Mon petit oiseau avide de liberté. Je n'en attendais pas moins de toi... Une telle persévérance pour découvrir celui qui m'avait tué... Tellement prise dans ton enquête que tu n'as pas osé regarder ce qu'il y avait devant ton nez... N'avais-tu pas remarqué que chaque protagoniste de cette sombre affaire avait un lien plus ou moins direct avec moi ?

-Philippe, j'ai vu ton corps, répliqua Carmen d'un ton fatigué. Comment voulais-tu que je te soupçonne ? Tu étais mon mari...

-Oui, et tu étais ma femme, et je n'avais jamais pensé que tu puisses me tromper jusqu'à ce que tu le rencontres, dit Philippe en désignant Julien d'un bref signe de tête. Il faut se méfier des apparences, ma chérie... Tu pensais que je n'étais pas capable de tuer ? Je l'ai fait à neuf reprises, sans aucun scrupules...

-On aurait dû s'en douter, dit Julien d'un ton volontairement provoquant. Seul un esprit aussi tordu peut imaginer une série de meurtre à partir de la lecture d'un roman policier. »

Philippe s'avança vers Julien, un léger sourire aux lèvres. Il se planta devant lui, lui tapota la joue, comme un père à son fils. Carmen observa cet étrange tableau. Elle ne voyait aucune animosité dans le regard de Philippe, juste de la pitié. Il semblait ne pas comprendre ce qui avait poussé sa femme dans les bras de cet homme si jeune, dont les yeux, malgré les épreuves affrontées ces derniers mois, respiraient encore l'innocence et l'ingénuité.

« -Julien, tu es si jeune, murmura-t-il. Il y a beaucoup de choses que tu ne comprends pas. Le mariage, une enfance difficile... Carmen et moi avons connu ça tout deux... Tu perdrais rapidement le contrôle, tu n'en sortirais pas indemne.

-J'ai connu pas mal de choses, ces mois-ci, merci à vous, répliqua Julien en maintenant le regard de Philippe. Il le dominait légèrement en taille, mais Philippe avait beaucoup plus de charisme.

-Ce n'était qu'une prémisse, mon grand, dit Philippe en lui tapotant l'épaule d'un air paternaliste. »

Il se tourna vers Carmen, lui sourit, s'avança vers elle, lui effleura la taille. Carmen frissonna et tenta de contrôler son corps. Philippe avait beau être un meurtrier, l'effet qu'il lui faisait n'avait pas disparu. L'amour était toujours présent, enfoui au fond d'un cœur meurtri et abîmé par le temps, par les larmes.

« -Carmen, ma chérie... Pourquoi as-tu tout gâché ? On était si beaux, tous les deux, tu te souviens ? Sur les plages de Normandie... »

Carmen essuya une larme et repoussa Philippe.

Dix TatouagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant