Chapitre 24 : Passe à autre chose

16 4 0
                                    

Carmen sortit de la galerie de Léna, lança un petit sourire timide aux deux vigils toujours imperturbables, indiqua le chemin des toilettes à une vieille femme bourrée, traversa rapidement la cour, poussa la lourde porte de bois verni, pénétra dans la rue et s'assit sur le bord du trottoir en retirant ses chaussures. Elle avait une ampoule au pied droit. Elle haïssait les talons aiguilles. C'était une torture physique et psychologique qu'elle s'affligeait avec masochisme, se pliant aux conventions comme une enfant bien élevée.

Elle sortit une cigarette et l'alluma. La pression sur son cœur se relâcha. Théodore et sa violence, Léna et son franc-parler, Mercure et son charme hypnotique s'envolèrent comme des particules dans un nuage de fumée. Elle se sentait mieux quand elle fumait. Mais elle savait que la redescente serait brutale.

La rue était presque déserte à l'exception de la file de jeunes gens bruyants qui patientaient pour intégrer une boite de nuit farouchement gardée par les sosies des gardes du corps de Léna. Le petit club se trouvait à une dizaine de mètres sur le trottoir d'en face. La file était encore petite. Il n'était que vingt-et-une heure trente, et la boîte n'avait même pas encore ouverte. Carmen supposa que ces jeunes voulaient réserver une bonne table.

A l'écart des jeunes fêtards, quelques jeunes femmes légèrement vêtues discutaient hardiment en fumant une cigarette. Probablement des strip-teaseuses, à en juger par le peu de vêtements qu'elles portaient sur elles et la couche de maquillage importante qui recouvrait leur visage. Elles étaient toutes les trois perchées sur des talons hauts, l'une d'entre elle faisait même la même taille que le plus grands des videurs.

A deux mètres d'elle, une fille encore plus jeune que les autres semblait fumer quelque chose qui, à l'odeur, différait légèrement du tabac que relâchaient les autres lèvres pulpeuses et collantes. Carmen plissa les yeux. Cette odeur, ces cheveux, cette allure désinvolte, ce piercing dans le nez, tous ces éléments réunis lui rappelaient des souvenirs.

« -Hé ! »

Carmen agita son bras à l'intention de la jeune fille. Les trois autres strip-teaseuses se retournèrent et lancèrent un regard dédaigneux à la grande robe bordeaux échouée lamentablement sur un trottoir. Mais la jeune fille, après un instant d'hésitation, reconnut son interlocutrice, sourit et se dirigea d'un pas enjoué vers Carmen.

« -Salut, dit cette dernière en lui rendant son sourire. Tu te souviens de moi ?

-Bien sûr, répliqua la jeune fille aux cheveux gris en lui faisant un clin d'œil complice. Tu as mauvaise mine. Pourquoi ces grands cernes ?

-J'ai des problèmes de sommeil.

-Problèmes de sommeil, ou problèmes personnels ?

-Disons que les deux sont corrélés. »

La jeune fille aux cheveux gris s'assit près de Carmen. Sa tenue vestimentaire était différente de celle que Carmen avait aperçu lors de cette nuit étrange qu'elle avait vécu il y a deux semaines. Elle avait un collant couleur chair qui dissimulait mal sa peau puisque des trous détruisaient l'harmonie du tissu. Ses talons noirs étaient encore plus hauts que ceux de Carmen, mais elle ne semblait pas éprouver les mêmes difficultés pour se déplacer. Elle ne portait qu'une brassière si fine qu'elle ressemblait à un soutien-gorge, et seul un perfecto en cuir recouvrait ses épaules fines. Comme à son habitude, elle était extrêmement résistante au froid, contrairement à Carmen qui grelottait presque.

« -C'est ça que tu fais de tes soirées ? Traîner devant les boîtes de nuit ?

-Tu es déçue ? La jeune fille aux cheveux gris n'avait l'air ni étonnée, ni vexée, seulement sarcastique.

Dix TatouagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant