Chapitre 21 : La revanche de Philippe

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Carmen s'était presque étouffée avec sa cigarette en entendant les révélations de la commissaire-adjointe. Elle avait du mal à la croire. Néanmoins, si Sabine affirmait cela avec une telle certitude, c'est qu'elle devait avoir de bonnes raisons d'être sure d'elle.

Philippe lui avait toujours affirmé n'avoir jamais connu ses parents. Il avait passé son enfance dans de multiples familles d'accueil à S. même, ou dans sa région. Carmen n'avait jamais cherché à vérifier ces informations. Elle s'était contentée de le croire. Philippe avait eu une enfance difficile. Il haïssait l'école et séchait souvent les cours pour se rendre à la bibliothèque et lire quelques livres. Seule la dernière famille, qu'il avait rejoint à l'âge de douze ans, l'avait profondément marqué. Il avait décidé de prendre le nom de ceux qu'il considérait comme ses parents adoptifs à l'âge de dix-huit ans. Et le petit Philippe qui n'avait pas de nom de famille était devenu Philippe Saint-Roméo.

Ce fut une douche froide pour Carmen. Elle se sentait trahie. Philippe lui avait menti. Philippe lui avait caché des choses. D'abord, ses échanges avec Fleur Deshayes. Ensuite, son manuscrit secret. Enfin, son enfance. C'était trop. Elle avait l'impression de redécouvrir un homme qu'elle avait connu de loin seulement, dont les souvenirs restaient flous, les contours indistincts. C'était étrange. Le Philippe Saint-Roméo qu'elle avait connu semblait s'éloigner de plus en plus.

Elle écrasa sa cigarette à peine entamée sur le rebord de la fenêtre. La fumée l'écœurait.

« -Philippe m'avait toujours affirmé être orphelin, dit-elle enfin.

-Il ne l'était pas, dit la commissaire-adjointe sans se départir de son habituelle désinvolture. Ses parents étaient les Solis, le couple martyr de la bijouterie cambriolée en 1978. »

Nouveau choc. Carmen se laissa glisser le long du mur et s'assit par terre. Elle passa sa main tremblante dans ses longs cheveux ébènes. L'histoire se complexifiait. Cette fois, la pilule fut plus dure à passer, mais son ressentiment envers Philippe s'atténua. Il n'avait pas entièrement menti. L'enfance qu'il avait connu avait effectivement été difficile, mais probablement pour d'autres raisons. Etre le fils d'un couple avec un destin aussi tragique avait dû être perturbant, voire traumatisant. Elle l'admirait presque d'avoir réussi à dissimuler ces séquelles pendant des années.

« -Philippe serait donc l'enfant mystérieux que la rumeur populaire attribuait aux Solis.

-Effectivement. Philippe était le fils de Thomas Solis et de Samantha Saint-Roméo dont il a récupéré le nom, probablement pour des mesures de sécurité. Thomas s'est ensuite remarié avec une jeune femme qui vivait à Aix-en-Provence. Il avait un autre enfant, probablement avec cette seconde femme. Fleur n'en dit pas plus sur son identité, sur ce qu'elle est devenue – c'était une fille. Mais Philippe ne semblait pas avoir des contacts avec eux, sinon il vous les aurait sûrement présentés.

-Il ne m'a même pas introduit à sa famille, constata Carmen avec amertume.

-Carmen, dit posément Sabine. Songez à ce que toute cette histoire a dû représenter pour Philippe. Sa mère a été assassinée quand il avait à peine un an. Son père était un homme brisé, qui n'a jamais dû se remettre de la mort de sa première femme. Peut-être que sa belle-mère était adorable avec lui. Mais il n'a pas dû avoir une enfance heureuse. Il a probablement des traumatismes. Imaginez les cauchemars qu'il a dû faire, les crises d'angoisse. Tout cela derrière votre dos, pour ne pas vous inquiéter. Comment auriez-vous réagi s'il vous avait raconté son histoire ? L'auriez-vous bien pris ? Vous ne pouvez pas juger un mort sur des silences. Peu importe ce que Philippe a voulu faire, il n'a certainement pas voulu vous blesser. Ne lui en tenez pas rigueur. Il vous aimait plus que tout. »

Dix TatouagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant