Chapitre 25 : Le temps prime sur la forme

14 4 0
                                    

La tête de Carmen tournait encore quand elle émergea de son sommeil quasi-léthargique. Ses membres étaient endoloris et elle avait des bleus sur ses cuisses, là où elle était tombée lourdement la veille. La journée avait l'air avancée. Le soleil de novembre lui piquait les yeux.

Elle mit quelques minutes à comprendre pourquoi elle avait toujours sa tenue de soirée sur elle et ce qu'elle faisait sur le sol du salon. Elle avait des souvenirs flous de son arrivée dans l'appartement. Si la soirée était parfaitement claire, Théodore, les piques de Léna, Mercure et ses yeux cyans, la brassière de la jeune fille aux cheveux gris, tout se compliquait dès l'entrée dans le taxi. Elle ne se souvenait pas avoir pénétré dans l'appartement, ni avoir rejoint son lit, ou s'être endormie sur le sol, comme c'était manifestement le cas...

Lorsque ses yeux, sondant la pièce à la recherche de repères sensoriels, tombèrent par hasard sur le couteau ensanglanté, une violente migraine lui broya le front sous le poids des bribes de souvenirs qui revenaient comme des flashbacks après un long coma suivi d'une amnésie.

La panique s'installa.

Le couteau était ensanglanté, mais ce n'était pas le sang de Julien. Ce dernier avait simplement une bosse à l'arrière de la tête. Il était étendu sur le ventre, les bras le long du corps, la tête dans un coussin qui était tombé du canapé. Carmen n'avait pas eu le temps de constater les dégâts causés par le visiteur avant de s'effondrer lamentablement aux côtés de son amant. Plusieurs assiettes avaient été brisées, les chaises de la cuisine gisaient sur le sol au même titre que de nombreux livres. Le canapé, ou plutôt ce qu'il en restait, était en décomposition, comme si on l'avait démonté pièce par pièce. Vestiges d'une longue bagarre ou d'une fouille archéologique ? Une seule personne possédait la réponse.

Carmen secoua son amant avec toute l'énergie qui lui restait. L'absence de plaie sur le corps de Julien l'avait rassurée sur un point : son amant était en vie. Mais il avait l'air sérieusement amoché.

Elle parvint à le retourner face à elle et à l'adosser au canapé. Son visage avait été défiguré par l'affrontement. Il avait saigné du nez et un de ses deux yeux était cerné par des marques violettes qui n'étaient pas dues à une fatigue accumulée. Malgré les efforts de Carmen pour qu'il se réveille, Julien resta obstinément endormi. Résolue à employer tous les moyens possibles pour que son amant reprenne conscience, elle se leva péniblement, trébucha, enleva ses talons pour être à son aise, se dirigea en boitant vers la cuisine, remplit une carafe d'eau en prenant gare à ne rien casser, évita les débris qui manquèrent de lui entailler la paume des pieds, s'accroupit en face de son amant et lui renversa l'eau sur le crâne.

L'effet fut immédiat. Julien grogna, prononça un juron, ouvrit le seul œil valide qu'il possédait et resta un instant ébahi par le spectacle qui se présentait à lui. Comme pour Carmen, le retour à la réalité prit un peu de temps. Mais le choc fut plus brutal. Julien dut allier traumatisme psychologique à traumatisme physique. Il gémit et porta la main à l'énorme bosse qui occupait l'arrière de son crâne.

« -Ne touche pas ça, dit Carmen en lui saisissant le poignet. Tu ne vas qu'aggraver la chose. Je vais chercher de l'harmonica.

-Quel fils de pute, quel fils de pute, répéta Julien comme si sa bouche endolorie ne pouvait prononcer que des noms d'oiseau. Quel fils de pute.

-Calme-toi. Tu es encore bouleversé.

-Si je retrouve cet enfant de putain, je lui enfonce mon poing tellement profondément dans la gorge que ses dents se planteront dans son cerveau d'avorton, de renégat, de...

-Julien, ça suffit, le coupa Carmen. Il est parti maintenant. Laisse-moi te soigner...

-Quel fils de pute, quel fils de pute... »

Dix TatouagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant