Chapitre 10 : Arsène Lupin

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L'immeuble où habitait le commissaire Bouvardet se trouvait dans un quartier aisé de la ville. Quelques voitures de luxe étaient garées près des trottoirs. Dans d'autres coins de S., les bagnoles auraient été décorées de graffitis ou de rayures par quelques adolescents malveillants. Mais dans un environnement où la moyenne d'âge approximait la soixantaine d'années, il n'y avait aucun risque à garer sa Maserati devant sa maison.

Carmen jeta quelques regards autour d'elle. La rue était peu passante. Les quelques rares résidents qu'elle croisait rentraient directement chez eux. Il n'y avait rien à faire dans le coin. Même acheter de quoi manger était compromis.

Elle serra son sac à main contre sa poitrine et attendit que quelqu'un veuille bien sortir de l'immeuble pour y pénétrer. Son cœur battait la chamade. Elle avait l'impression qu'il essayait désespérément de sortir de sa poitrine et de s'échapper. Les battements incessants couvraient même les rares bruits de voiture qui brisaient le silence pesant des rues. Elle s'essuya le front. La mission qu'elle s'était incombée la mettait dans des états qu'elle n'avait pas ressentis depuis des années. Un mélange d'adrénaline, de stress, de remords et de colère. Elle avait l'impression de repasser son bac ou de valider à nouveau sa licence de droit. Mais elle savait qu'il n'y aurait pas de rattrapages : ou elle réussissait, ou elle passerait probablement le restant de ses jours en prison.

Elle pensa à Philippe. Ne pas oublier qu'elle le faisait pour lui. Ne jamais oublier le but de son existence. Maintenant, et pour les jours à venir, ce serait Philippe.

Elle eut quelques remords en pensant à Julien. Julien ne méritait pas son silence entêté. Julien ne méritait pas qu'elle l'évite. Et Julien ne méritait pas qu'elle lui mente.

Mais que dirait-il s'il la voyait ainsi, hésitante devant ce grand immeuble bourgeois, les jambes tremblantes comme une petite fille qui va voler trois sucettes dans une épicerie ? Julien lui aurait pris la main et lui aurait demandé de faire demi-tour. Et elle l'aurait suivi. Probablement.

Philippe aurait tapé le code et Max aurait ouvert la porte. Elle frissonna en songeant qu'elle avait inconsciemment ajouté Max à l'équation compliquée qui régnait dans son cœur. Elle avait eu du mal à gérer deux hommes en même temps. Son esprit pouvait-il se permettre d'en supporter ?

« -Madame ? »

Elle sursauta. Une jeune femme aux cheveux très courts se tenait en face d'elle, un livre à la main et un sac à dos en cuir sur les épaules. Elle ressemblait à une étudiante en histoire de l'art avec sa veste en jean excentrique, sa mèche rouge et son piercing au nez. Carmen ne put s'empêcher de penser à la jeune fille aux cheveux gris avec qui elle avait discuté l'autre soir. Elle avait ce même air désinvolte et la même lueur teintée d'inquiétude dans le regard qu'elle essayait à tout prix de dissimuler.

« -Vous attendez quelqu'un ? Je ne vous ai jamais vu dans ce quartier...

-Oh, euh... balbutia Carmen, mal à l'aise. En fait, une amie à moi habite dans cet immeuble et euh... J'ai oublié le code, donc je...

-Vous ne pouvez pas entrer, je vois, poursuivit la jeune fille en souriant. Pourquoi vous ne l'appelez pas ? Elle descendra probablement vous ouvrir.

-Oh, et bien... Je crois qu'elle n'a plus de batterie... J'ai essayé de la joindre à plusieurs reprises, mais je tombe toujours sur sa messagerie...

-Je vois... Vous voulez que je vous ouvre ? J'habite ici. »

Carmen hocha vivement la tête, un peu trop vivement à son goût. Elle sourit maladroitement à la jeune femme qui poussa la porte et la laissa passer. Carmen la remercia brièvement et s'engouffra dans l'immeuble.

Dix TatouagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant