Chapitre 16 : Sabine Marple

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« -Il est temps de faire le ménage. »

Sabine Meyer tendit une tasse de café à Carmen. Cette dernière porta le liquide brûlant à ses lèvres et le but d'une traite, malgré la sensation de brûlure qui irritait sa gorge. Une flasque de whisky aurait été la bienvenue, mais elle n'avait pas la force de demander un breuvage plus fort à la commissaire-adjointe.

Elle était la plus ébranlée des trois témoins. Léna se contentait de serrer la couverture de laine offerte par Meyer et de grelotter. Elle ne s'était plainte que du froid. Quant à Julien, il ne disait rien, mais ses yeux étaient perdus dans le vide. Il fixait ses pieds depuis dix minutes, évitant scrupuleusement de croiser le regard de Carmen.

Mais, elle, ne s'en était pas remise. La mort de Fleur Deshayes ne l'avait pas affecté autant que celle de Philippe, mais les deux décès étaient trop proches temporellement pour qu'elle n'en garde pas des séquelles. Est-ce que Philippe s'était lui aussi traîné dans la boue ? Non, il était resté dans son bureau. Il était mort assis, comme s'il n'avait pas voulu vivre ses dernières secondes les genoux à terre.

La commissaire-adjointe Meyer avait débarqué quinze minutes après la mort de l'éditorialiste du clocher du village. Un fourgon avait embarqué le corps de la défunte, tandis que les trois témoins étaient montés avec elle dans la voiture. Le trajet s'était fait dans le silence le plus complet. Mais la commissaire-adjointe venait de briser la glace.

« -Cette affaire à laquelle vous vous attaquez... Elle est trop complexe. Trop complexe pour des amateurs. Vous ne vous en sortirez jamais seuls.

-Dites à votre boss de rouvrir le dossier sur la mort de mon mari, et on arrivera peut-être à des résultats, répliqua Carmen d'un ton hargneux, malgré la faiblesse de sa voix. On fait avec nos moyens. Ça ne marche pas toujours.

-Je ne suis pas en charge des dossiers, répondit la commissaire-adjointe Meyer d'un ton impassible en faisant les cents pas dans son bureau. Je ne peux pas vous aider officiellement.

-Alors, laissez-nous repartir.

-Je suis obligée de vous garder un certain temps pour que ce soit crédible.

-Pour que quoi soit crédible ? »

La commissaire-adjointe posa ses poings sur la table et dévisagea Carmen en plissant les yeux. Cette dernière, mal à l'aise, détourna le regard.

« -Je suis en train de vous épargner un nouvel interrogatoire pénible, Madame Saint-Roméo. Le premier ne s'était pas très bien déroulé, et je n'ai pas envie de réitérer l'expérience. Alors, je gagne du temps. Et j'essaie de vous aider.

-On... on devrait être interrogés ? demanda Léna d'une voix fébrile, qui ouvrait la bouche pour la première fois depuis le drame.

-Vous êtes les trois dernières personnes à avoir vu Madame Deshayes en vie, alors vous faites partie des principaux suspects. Vos empreintes digitales figurent sur le corps de la victime, et il faudra un peu de temps avant de vous innocenter totalement. Je veux bien me charger de la rédaction d'un faux rapport, mais il faudra d'abord m'écouter.

-On vous écoute, Madame Meyer, » répondit Julien avec calme en lançant un regard noir à Carmen qui allait protester une énième fois.

La commissaire-adjointe s'assit derrière son bureau et croisa les mains devant elle.

« -Ce qui ne vous avait certainement pas frappé à première vue, et c'est normal, c'est que nous avons affaire à une série de deux types différents de crime, probablement commis par les mêmes assassins, mais qui ne signifient pas la même chose. Il est donc important de séparer les victimes en deux groupes. Le premier est celui des morts « fictives ». Parmi elles, celles de David Martinez et de François et Juliette Andreani, auxquelles devront probablement s'ajouter celles d'Annette Jeannet et de Louis Aloin – j'y reviendrais par la suite. Le second est celui des morts « réelles ». Dans ce groupe, Philippe Saint-Roméo y figure depuis deux semaines, et Fleur Deshayes s'y ajoute aujourd'hui. Le principal point commun entre ces deux groupes est l'intérêt que portaient les victimes du deuxième groupe à celles du premier : d'abord le début de roman de Philippe dont vous m'avez parlé l'autre jour, Carmen, puis l'éditorial de Fleur Deshayes sur les Andreani, cette dernière ayant déjà un lien avec David Martinez, également victime du premier groupe, étant probablement son ex-femme. La conclusion est simple : les deuxièmes sont morts parce qu'ils avaient découvert quelque chose à propos de la mort des premiers.

Dix TatouagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant