Chapitre 9 : Carmen Saint-Roméo à Max

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Carmen s'était couchée tôt. La soirée avec Julien avait été brève et silencieuse, Carmen ayant sciemment évité tout sujet de conversation tournant autour de Philippe. Elle avait peur d'avoir déjà agacé ses deux acolytes alors que l'enquête commençait à peine. De toute manière, Julien ne pouvait pas avoir d'intérêt direct à se préoccuper de la mémoire de Philippe, si ce n'est de la voir heureuse et de lui faire plaisir. Maigre consolation quand on voudrait que les pensées de celle qu'on aime ne soient dirigées que sur notre seule personne...

Quant à Léna, elle avait une patience et une concentration proches de celles d'une huitre. Elle se lassait vite et ne comprenait pas pourquoi Carmen tenait tant à s'engager sur des routes étroites qui ne menaient qu'à des conclusions absurdes. C'est pourquoi elle ne comptait consacrer qu'un temps partiel à l'enquête sur la mort de Philippe.

Carmen se sentait abandonnée et elle n'avait pas ressenti cette émotion depuis un certain temps. Depuis plusieurs années, quand elle sortait d'une longue dépression nerveuse, avant de rencontrer Philippe. Cet abandon si paradoxal, puisque Julien était si présent pour elle qu'il en devenait étouffant et difficile à supporter. Mais Julien ne voulait pas comprendre, Julien ne voulait pas la croire.

Elle savait qu'il la prenait pour une folle. Quand elle exposait ses idées, il avait ce regard exaspéré, lassé, ce regard qu'il prenait quand les professeurs de la fac se lançaient dans des monologues soporifiques et sans intérêt. Au moins Léna avait-elle le mérite de prendre les choses au second degré. Mais Julien ne faisait aucun effort.

Elle se demanda qui serait assez fou pour discuter avec elle, pour la croire. Qui pourrait entendre ses histoires toute la nuit, qui pourrait imaginer des scénarios rocambolesques avec elle, qui serait persuadé que Philippe ne s'était pas suicidé, mais qu'il était bien mort assassiné, par le même homme, ou par la même femme qui avait tué David Martinez six mois auparavant, et François et Juliette Andreani quelques jours plus tard. Et, à sa connaissance, il n'y avait qu'une personne susceptible de l'aider.

Elle décida de répondre à Max. Et de commencer une série de messages qui allait s'avérer interminable.

De Carmen Saint-Roméo à Max :

Hey, Max,

Ok, ça craint comme entrée en matière, je reconnais. Je suis navrée de vous avoir laissé sans réponse pendant quarante-huit heures. C'était très impoli. A vrai dire, je pense que je ne vous aurais jamais répondu, si je ne me sentais pas extrêmement seule.

Ca vous ait déjà arrivé de vous retrouver au milieu d'une foule de gens qui pensent que vous avez l'esprit complètement flingué parce que vous n'êtes pas d'accord avec eux ? Je sais qu'on voit souvent ça dans les films. C'est un classique. Mais personne ne s'est jamais posé la question, n'est-ce pas ? Pourquoi tout le monde pense que le héros a tort, alors qu'il a toujours raison ?

La malédiction du héros, probablement. Je ne sais pas. J'ai une autre question : parce que notre avis est minoritaire, cela veut-il dire que nous avons plus de chances d'être dans le tort ?

Vous aurez remarqué que je suis douée pour poser des questions, mais moins habile pour y répondre. Je ne suis même pas capable de répondre aux propres interrogations sur mon existence.

Je ferme la parenthèse existentielle. J'ai besoin de votre aide, Max.

Vous m'aviez affirmé, dans votre mail précédent, avoir été témoin du meurtre de mon mari. Je vous crois. Je suis persuadée que mon mari est mort assassiné.

Je ne vais pas vous faire un résumé des découvertes que j'ai faites ces dernières heures mais elles valent leur pesant d'or. Seulement, je suis actuellement en train de stagner, et, par-dessus le marché, ma meilleure amie et mon amant pensent que je suis complètement folle (d'où la malédiction du héros). Et je suis sur le point de faire une grosse bêtise, alors je voudrais votre avis, pour savoir si cela vaut le coup où que je risque de passer ma vie derrière les barreaux après ce que je m'apprête à faire.

Dix TatouagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant