Be My Robin [Jason Todd]

VIII.

« Pourquoi tu as un énorme flingue dans ta boîte à gants ? »

L'un des problèmes les plus récurrents lorsque l'on s'appelait Jason Todd aka Red Hood et qu'on avait une méchante addiction pour tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une arme à feu, c'était de trouver de bonnes planques pour ranger tous ses jouets. Mais l'un des avantages à être américain et à vivre à Gotham, c'était que finalement, trouver un Beretta 92 dans une boîte à gants, ça n'étonnait pas plus que ça.

De la façon la plus dégagée possible, Jason haussa les épaules sans quitter la route des yeux et répondit :

« On est à Gotham, j'ai une Mustang et mon père adoptif est riche comme Crésus. Je préfère avoir de quoi me défendre sous la main si tu vois ce que je veux dire. »

Ashley fronça les sourcils en se ratatinant un peu contre la porte de la voiture :

« T'es sûr que t'as pas prévu de m'abandonner sur un île déserte avec juste ce flingue et une balle dedans comme dans Pirates des Caraïbes ?

- Ça dépend, tu as prévu d'organiser une mutinerie contre moi ?

- Plus maintenant... »

Le ton piteux d'Ashley fit rire Jason qui tourna la tête vers elle et l'observa brièvement boire à la bouteille qu'elle avait dû trouver en même temps que le Beretta. Contrairement à toute autre personne à peu près normalement constituée, la présence du flingue ne semblait pas la paniquer plus que ça et elle n'hésita pas à fouiller dans le sac MacDo plein de hamburgers que Jason était allé chercher au drive quelques minutes avant de récupérer Ashley à la fac.

« Je te prends un BigMac, j'ai la dalle. Il est pas périmé au moins ?

- Nan t'inquiète, il est bon. File moi des frites au passage. »

Avec une absence totale de délicatesse, Ashley enfonça une poignée de frites droit dans la bouche de Jason qui manqua de s'étouffer. Loin de s'en rendre compte, l'étudiante croqua dans son hamburger et demanda en mâchant :

« Alors, on va où ? J'espère pour toi que t'as pas prévu de me faire des trucs bizarres parce que je te préviens, j'ai toujours mon sifflet anti-viol qu'une catho bizarre m'a donné le jour de la rentrée à la fac. Si tu me touches, l'armée de Dieu se chargera de te défoncer la gueule.

- Si tu t'en remets à Dieu tu risques d'être déçue... »

Jason aurait aimé que son ton soit moins amer, mais ça lui semblait difficile, compte tenu de son expérience douloureuse avec l'au delà. Le long tunnel avec la lumière au bout, les anges à l'entrée du paradis, le mojito offert par Saint Pierre, tout ça c'étaient des conneries. Lui, en mourant, tout ce qu'il avait vu se résumait en une immensité noire dans laquelle il s'était enfoncé, impuissant, propulsé par l'explosion de la bombe du Joker. S'il y avait un Dieu, alors il l'avait abandonné il y a bien longtemps et il n'avait plus le moindre compte à lui rendre.

En tournant la tête, il se rendit compte qu'Ashley avait cessé de manger pour l'observer avec une curiosité qu'il ne lui connaissait pas. Et bien qu'elle ait de la sauce dégoulinant sur son menton, l'intensité de ses yeux noisettes manqua de le faire frissonner, comme si elle était capable de fouiller dans le moindre recoin de sa tête. Lorsqu'elle ouvrit la bouche, il n'aurait su dire à quoi il s'attendait, mais en tout cas certainement pas à ce qu'elle lui pose cette question :

« Jason, c'est quoi ton plus grand regret ? »

Le moindre des mots constituant cette phrase sembla frapper Jason comme autant de balles tirées à bout portant. De nouveau, des centaines d'alarmes raisonnèrent dans sa tête l'enjoignant à la plus grande prudence. L'espace de quelques secondes, il garda le silence, faisant mine de se concentrer exclusivement sur la route alors qu'il cherchait la façon la plus sûre d'aborder le sujet difficile de sa vie privée. Jusqu'ici, Ashley n'avait jamais cherché à franchir le seuil de la cage dans laquelle il enfermait soigneusement tous ses démons, mais à présent qu'elle en avait explosé le verrou d'un coup de botte, Jason sentait que leur relation s'apprêtait à prendre un tournant.