Euripide
— Qu'est-ce que tu n'as pas compris dans « ne pas trop faire le con » ? Me demande le pater' dans la voiture.
Car oui, au final, je suis allé me faire recoudre aux urgences avant que la nuit tombe, je n'arrêtais pas de pisser le sang. J'sais pas trop comment je me suis démerdé, en m'cognant une fois de plus sûrement. Au moins ce coup-ci je ne suis pas tombé sur un jeune premier qui a encore les traces des bancs de l'école sur le cul. J'ai donc hérité de six points de suture sur l'arcade et d'un superbe pansement sur le nez, il n'est pas cassé. Franchement tant mieux, il me fait déjà bien assez mal comme ça, pour la mâchoire, le docteur a dit « il faut attendre » donc j'attends. Les dents... J'ai eu une piqûre de plus, le bonheur...
Ma mère n'est pas venue avec nous, elle n'aime pas l'odeur des hôpitaux, j'la comprends, ça pue. Son mari ne m'a pratiquement pas adressé la parole, moi non plus. De toute façon, on n'a rien à se dire. Il a juste passé son temps à serrer comme un malade le volant.
Le truc c'est que j'ai dû virer Bryan de ma chambre, je pissais vraiment le sang de partout et vu sa tronche il a pas mal flippé, j'crois que j'vais en entendre parler un bon moment.... Remarque la tête de ma sainte mère était épique aussi, quand elle a débarqué dans a chambre, le blond beuglait après elle comme un damné, elle a dit a son mari de me ramener direct aux urgences et de veiller a ce que quelqu'un de compétant s'occupe de moi avant qu'elle ne se fâche tout en maltraitant son torchon.
— Le « trop ». Je finis par lui répondre en posant ma tête contre la vitre fraîche de la carlingue.
Ça me fait du bien.
Il ne répond pas, s'il s'attend a, je ne sais quel changement dans mon comportement il peut se brosser longtemps le coco ! Y'a des choses justes impossibles sur cette terre et lui et moi ça en fait partie.
— La personne pour qui tu as pris les coups en vaut la peine ? Il me demande presque dans un murmure sans donner plus de souffle a son volant.
En quoi ça te regarde vieux con ? Je me retiens de dire le fond de ma pensée en calant mes mains sous mes cuisses. Il faut que je me concentre sur moi pour ne pas ouvrir ma maudite tronche.
Est-ce qu'il en vaut la peine ?
Est-ce que c't'abrutis de service vaut six points de suture, deux dents en moins et un pif en vrac ?
Mais j'n'en sais rien moi ! Déjà, il faudrait que je sache pourquoi je me suis bougé !
Pourquoi ! Mais merde ! Pourquoi ça me bouffe ! Sûrement pour Jess ! Ouais ! pour elle, par ce qu'elle me l'a demandé ! Ouais...
Je me frotte le visage en grognant en touchant mes cicatrices, ma tronche est marquée à vie à cause de lui ! Chaque fois que je croiserais mon reflet, ce sera là, juste au-dessus de mon œil, indélébile, intemporel.
Là, juste là.
J'abaisse le pare-soleil et effleure du bout du doigt le pansement, je grimace et entends ce que je lui réponds sans en être vraiment conscient.
— Oui. Ça ressemble plus à un souffle qu'autre chose, mais il l'a très bien entendu.
Autre silence, plus long cette fois-ci, je ne sais pas ce qu'il peut s'imaginer dans sa caboche endommagée. J'sais déjà pas trop ce qu'il y a dans la mienne alors dans la sienne...
Oui, ça en valait la peine, plus tôt dix fois qu'une même !
Merde. C'est bien ça la vérité, pour moi, ça en valait la peine.
Il en vaut la peine. Rien que pour qu'il puisse continuer a me regarder, rien que... je veux continuer à ressentir tout ce merdier, même si j'en ai pas le droit. J'crois que j'en ai besoin. J'veux aussi me faire pardonner du Snac. Ce regard-là, je ne veux plus jamais le voir. Jamais.
C'est pour ça que j'ai flippé, pour la première fois de ma putain de vie, j'ai eu vraiment peur pour quelqu'un. Quelqu'un qui me fout les tripes en vrac.
Bordel.
— Bien... Bien... On verra bien si quelqu'un porte plainte. Termine le mari de ma mère le plus calmement du monde. Je crois même qu'il se détend un peu.
J'opine du chef et réalise ses paroles, non, en fait, je réalise son manque de parole. Normalement, je serais mort par dix fois, normalement ma mère serait venue avec nous pour éviter de nous entre-tuer, normalement, je n'aurais même pas réagi, car j'n'en aurais rien eu à foutre.
Je me cale bien au fond de mon siège et regarde par la fenêtre. Faut que j'appelle Idriss pour savoir comment il va.
Bordel. J'en ai vraiment quelque chose à foutre.
Il est ou mon normalement à moi ? Merde ! Les conneries dans le genre, c'est plus avec Bryan pour une broutille où un truc qui nous a paru important sur le coup.
Normalement, c'est ma mère qui fait la tournée des postes et des hôpitaux pour nous récupérer et normalement, elle nous embrouille vite fait et surtout, surtout, on se retrouve dans ma chambre le soir.
Ouais, normalement tout ça... Il n'y a que Jess qui ne change pas, elle m'a envoyé une tonne de messages de toutes sortes. De la déclaration d'amour à la menace de mort en passant par des trucs que je préfère oublier tout de suite. Du grand Jess quoi.
Le reste du trajet se fait dans un silence de mort quand enfin, il s'engage dans notre avenue, on croise la voiture d'Idriss.
Le pater' ne le connaît pas, il ne connaît aucun de mes amis, sauf le blond, mais lui, c'est différent, il s'invite chez moi sans aucune gêne. La belle brune aussi d'ailleurs. Là, aussi c'est différent.
Sa voiture ralentit, le pater' aussi, il a peut-être un cerveau ce con ?
— Bonjour M'sieur. Adam dimanche, on se retrouve tous au terrain pour un entraînement, tu viens ? Dis le sportif en baissant sa vitre, le « m'sieur » fait un sourire pincé. Je me penche un peu en avant pour mieux le voir, il est seul dans sa bagnole.
J'suis déçu.
Vraiment déçu.
Je ne gère pas du tout.
Le pater' racle sa gorge, j'reviens à la réalité avec un nœud dans la gorge.
— Quelle heure ? Je finis par lui répondre sans demander à qui que ce soit.
— On mange au snack le midi, donc un peu avant.
Je grogne un vague « OK » et chacun reprend sa route. Là aussi en théorie, il va m'enchaîner et m'interdire de sortir jusqu'à la fin de mes jours.
Mais, non.
Rien. Je ne comprends plus grand-chose.
Voir ma sainte mère nous attendre sur le pas de la porte d'entrée m'arrache un sourire. Ma mère est une sainte.
C'est bien pour ça que quand je sors de la voiture, je troque mon habit de branleur contre celui de bon fils à sa mère.
Elle me prend dans ses bras et me serre avec douceur, mon nœud grossi un peu plus.
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Adam 2.0
RomanceAdam 2.0 ?? mais kézako ?? Hé bien c'est un Adam remanié ! Adam, se définit lui-même comme un bon branleur, mais comme tout ado, au fond, il ne sait pas vraiment qui il est. Bien installé dans ses habitudes, en colère contre le monde entier et pl...