Le plus brave de nous a peur de son moi.

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 Oscar Wilde


J'ai déconnecté. Vraiment déconnecté. Je ne me souviens de rien, ni de la douleur, ni des cris, rien.

Tout ce que je sais, c'est que j'ai continué à abattre mes poings sur l'enflure qui lui a fait du mal.

Taper.

Taper encore.

Taper jusqu'à ce qu'il ne puisse plus se relever. Taper jusqu'à que je ne sente plus mes mains.

Mais plus je le frappe, plus je suis furieux, putain qu'j'suis furieux, hors de moi ! Comme je ne l'ai jamais été !

J'le r'vois encore l'autre abruti se prendre le coup sans réagir, se faire passer à tabac comme ça ! Comme un gland ! Sans rien dire ! Normal ! Abrutis !
Mais qui aime se prendre des coups ?

Bordel !

De quel droit, l'autre empaffé de service lève la main sur lui ?

Et c'est qui c'te con ?

Mes poings sont anesthésiés, tout comme mes bras, tout comme mes trois neurones. Mais pas ma colère et encore moins ma trouille !

- Adam !

Je frappe.

- Dam !!!

La voix suraiguë de Jess me sort de ma transe destructrice, elle se plante devant moi et cale ses deux petites mains sur mon visage. La fraîcheur de ses doigts sur mes joues bouillantes me fait une sorte d'électrochoc.

Mes yeux se reconnectent enfin à la réalité, adieu voile rouge, bonjour visage strié de larme de la belle brune.

Elle pleure, merde, je n'aime pas ça, pas sur elle. Jess est ma meilleure amie, j'n'aime pas quand elle pleure, elle a aussi la voix cassée, elle a du pas mal hurlé aussi.

Double merde.

Ses doigts sont visqueux sur ma peau, ça m'fais une drôle de sensation, je fronce les sourcils, lui attrape le plus doucement possible ses poignets pour regarder ses mains.

Ils sont couverts de sang.

Bordel, ne me dites pas que je lui ai fait du mal ! Ne me dites pas que je... Non ! NON !

Je me sens trembler de tout mon corps, un frisson glacial parcourt tout mon corps. Je n'ai jamais respecté les putes avec qui je baise, mais jamais, vraiment jamais je ne les ai frappés ! Alors Jess, MA Jess...

- C'est pas le mien ! Regarde ! Elle me dit en essuyant ses mains sur son tee-shirt mauve. De longues traînées rouges le marquent à vie, il est fichu, mort. Un peu comme une petite partie de moi en ce même instant.

Elle tourne et retourne ses mains devant moi pour me montrer que ce n'est pas le sien.

Je souffle, ça va... Je crois. J'sais plus grand-chose. J'vois pls grand-chose non plus.

Alors que je me demande ou il est, elle me capture le visage une nouvelle fois et impose son regard dans le mien, j'aime bien ses yeux, ils ne sont pas juste noisette, ils sont tout en nuances avec des filets noirs qui approfondissent sont regard.

J'aime ses yeux, mais ils ne me télescopent pas. Pas comme les siens.

J'essaie de tourner la tête pour chercher l'autre abruti de service, mais elle m'en empêche.

- On va y aller, une ambulance va venir, j'ai passé un appel anonyme. OK ?
J'opine du chef.

- Ça va aller ? Elle me demande toujours en m'interdisant de bouger. Dans le fond ce n'est pas une question, elle impose juste ce qui doit être. Elle m'impose ce qui doit être pour ne pas que je reparte en vrille, je le sais.

J'opine une nouvelle fois, elle sait que je mens, elle le voit, mais ne dit rien. Pour le moment ça lui convient, a moi aussi. Tout comme moi je ne dirai rien sur ses yeux rougis par ses larmes.

Doucement, tout doucement, elle fait descendre ses mains dans les miennes, enjambe le corps de l'empaffé de service de merde, je la regarde un poil septique. Je ne comprends pas.

Pourquoi elle m'a stoppée ?

- Il n'en vaut vraiment pas la peine. Elle répond à ma question silencieuse, c'est pour ça que je l'aime bien, elle est comme Bryan.

Elle sait, juste elle sait. Enfin, elle sait plus que lui. Intuition féminine sûrement. Quelque part pour ça elle est mieux que le blond.

Je ferme les yeux et prends une grande inspiration, mes poumons me brûlent. J'ai aussi envie de gerber.

Quand je me tourne, je le cherche automatiquement. J'ai besoin de le voir, ouais besoin.
Il est juste là, sur ma gauche, il regarde le tas d'os qui geint au sol.

Ma colère monte de nouveau, le petit bout de femme serre un peu plus fort ses doigts autour des miens.

L'autre s'arrête une petite seconde sur ce qui nous lie et nous regarde, me regarde. Ses deux billes noires se fixent dans les miennes.

Le charme n'a pas le temps d'opérer, car Jess me fait avancer, au passage, elle chope sa main et nous dirige vers sa voiture. Nous traîner serait plus exact.

Elle prend d'autorité le volant, pour le coup vaut mieux, je prends la place du mort et j'entends une portière arrière claquer. Mon cœur se calme. J'ai l'impression de pouvoir respirer de nouveau. J'ai moins la nausée aussi.

Aucun de nous trois ne parle, je me contente de fixer l'extérieur. Hors de question que je regarde dans un rétro, trop de risque que nos regards se croisent.

J'peux pas.

J'suis pas sûr de moi. J'veux pas, pas pour lui, mais pour moi, purement et égoïstement pour moi.

J'suis furieux contre lui ! Comment peut-on se laisser tabasser ? Bordel, mais dans quel monde, il vit ce con ? Il croit encore aux bisounours ou quoi ? Il pense qu'avec un bisou magique tous les bobos s'en vont ?

Bordel ! Mais quel con !

Merde !
Et puis c'est quoi tout ce merdier !
Je me frotte le visage avec mes deux mains et grogne aussi tôt.

J'ai mal au pif et à l'arcade sans parler de mes dents. Il ne m'a pas loupé le salop, remarque, moi non plus.

Je me souviens lui avoir attrapé la tête et l'avoir fait rencontrer mon genou, je me souviens avoir pris un énorme coup de saton dans les dents et je me souviens aussi lui avoir imprimé le rebord de la benne à ordures sur sa tronche plusieurs fois.
La conductrice se gare sur un bas-côté, à quelques pâtés de maisons du centre-ville, elle se recule et prend dans son sac de quoi nous nettoyer. Elle me tend en premier des lingettes, je les fais passer derrière sans y avoir touché.

Quelle belle connerie ! J'n'aurais pas dû me retourner, J'aurais dû garder le tout pour moi, faire comme d'habitude faire mon bon branleur de base égoïste et tout et tout. Mais non, il a fallu que j'me retourne !

Merde ! C'que je suis con quand je m'y mets !

Adam 2.0Où les histoires vivent. Découvrez maintenant